La santé, un bien commun - Cordel N°28

lundi 4 avril 2016
par  Martin Coutellier
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L’idée de «  biens communs »

En Europe, l’idée de « bien commun » apparaît dans un texte de loi au début du XIIIème siècle : c’est la Charte des Libertés, promulguée (à contrecœur) par le roi anglais Jean Sans Terre en 1215, suite à une guerre civile. C’est un document très important qui propose des lois pour limiter le pouvoir du roi, en particulier la liberté de ne pas être emprisonné sans jugement (habeas corpus). Cette Charte a été déchirée dès 1227 par le roi même qui l’avait promulguée. Pourtant, elle est considérée comme une inspiration importante des textes de lois dans le monde anglo-saxon (déclaration des droits de 1689, constitution américaine de 1787). Dans la plupart des éditions, deux parties de texte sont séparées : La Grande Charte des Liberté d’une part, et La Charte des Forêts d’autre part. Celle-ci définissait les « communs  » (« commons  »). En anglais, ce terme a des sens très divers et il peut être traduit par « espaces communs », ou « ressources communes ». Il désigne les forêts, les bois, les champs, les pâturages, les rivières et les lacs, mais aussi les rues des villes, etc. La Charte des Forêts donnait la possibilité aux hommes libres d’utiliser les ressources offertes par ces espaces, avec le devoir de les entretenir.
 

Soins, santé et conditions de vie

« Les communs » de cette époque concernaient des ressources naturelles permettant de boire, manger, se loger, se chauffer, etc. Aujourd’hui, ces biens communs sont de moins en moins communs. L’accès à une alimentation saine, au logement, à l’éducation, etc. est de plus en plus menacé. Pourtant, la santé dépend d’abord des conditions de vie, et ensuite des soins.
 

Une question de vocabulaire : on dépense ou l’on crée de la santé ?

Pour envisager la santé comme bien commun, il faut d’abord se débarrasser des idées reçues que nous avons quand nous réfléchissons à la Sécurité sociale et au financement de la santé. Car les discours politiques et dans les medias laissent penser que seules les entreprises privées qui font du profit produisent quelque chose, et que la santé, l’éducation, la culture ne font que « coûter  ». Par exemple, l’argent utilisé pour financer les soins est appelé « dépense  » de santé. Par opposition à la « création de valeur » par les entreprises privées. Cela est répété un peu partout par des hommes et femmes politiques, des experts en économie, des journalistes, et cela nous fait oublier que les ressources mises commun en cotisant à la sécurité sociale permettent de produire des soins, et donc de créer de la santé. .Quand nous disons : « en France, la santé coûte X milliards d’euros », nous devrions dire : « en France, nous produisons pour X milliards d’euros de santé ». Un système de santé privé capitaliste, comme aux USA, est moins efficace qu’un système plus solidaire : alors que l’argent consacré à la santé est plus important aux Etats-Unis, les indicateurs de santé y sont moins bons qu’en France, en Angleterre ou en Allemagne.

Des choix à faire, par qui ?

L’idée des biens communs du XIIIème siècle nous montre aussi comment doivent être prises les décisions pour l’utilisation des ressources communes. Lorsque ces décisions sont laissées à un petit groupe de personnes restreint, expert ou élu, ce petit groupe devient une cible facile pour les groupes d’intérêt. On le voit aujourd’hui avec la Sécurité sociale, qui est à la fois sous l’influence du gouvernement et sous la pression de différents lobbys : industrie pharmaceutique, médecins, ambulanciers, etc. Si l’on veut prendre des décisions dans l’intérêt des citoyens qui cotisent et qui reçoivent les soins, la seule solution est de les faire participer directement à cette prise de décisions. Bien sûr, cela doit se faire dans une discussion avec les professionnels de santé et les pouvoirs publics. Les décisions à prendre sont nombreuses. Quels médicaments rembourser ? Quels doivent être les revenus des différents professionnels ? Où et comment ces professionnels doivent-ils s’installer ? Et beaucoup d’autres questions encore.
Pour toutes ces questions, les citoyens doivent pouvoir participer à la discussion et la décision. C’est la définition d’un bien commun.

Un prix Nobel pour les biens communs

 
La chercheuse américaine Elinor Olstrom a reçu le prix Nobel d’économie en 2009. Son travail, commencé dans les années 70, a été d’étudier comment différentes communautés dans le monde organisent l’exploitation et la gestion de ressources communes (le plus souvent des ressources naturelles). Elle a démontré que la gestion par les utilisateurs (« user-managed  ») des rivières, des pâturages, des bois et des lacs était le mode de gestion le plus efficace, y compris du point du vue économique. Dans ces systèmes, la répartition de ressources est meilleure, leur exploitation coûte moins cher, elles sont mieux entretenues et restent donc disponibles pour toute la communauté. Les résultats de ses recherches ont poussé Elinor Olstrom à défendre «  l’auto-organisation et de l’auto-gouvernance dans les situations de ressources communes  ».

Cordel écrit par Martin Coutellier, médecin généraliste, et le Collectif outils pour le soin, partage de savoirs d’accès libre. mars 2016.www.outilsdusoin.fr
Illustration : Hélène Maurel Cordel N° 28
cordel :petit fascicule brésilien de poèmes ou écrits subversifs accrochés à une corde à linge et vendus dans les marchés

De la ZAD aux communaux
Quelques pistes pour aller plus loin (extraits)


Beaucoup de questions se posent actuellement sur le devenir des terres de Notre-Dame-des-Landes une fois le projet d’aéroport abandonné. Le devenir de ces terres dépend entièrement de notre capacité à y vivre en commun aujourd’hui. (-)
Les terres communales, cʼest un territoire mis en partage dans lequel la propriété foncière, la propriété du sol, n’est plus définie par le droit, pour l’instant inapplicable dans ce bocage.
Par territoire, nous entendons : les champs, les bois, les prés, les haies, les fermes, les maisons et les cabanes, mais aussi les routes et les chemins.
• un territoire physique délimité collectivement et déclaré comme bien commun, c’est-à-dire comme propriété collective du mouvement ;
• un territoire voué aux usages des individus et des groupes qui l’habitent, le défendent ou le cultivent, quʼils habitent ou non de manière continue sur la zone, quʼils la traversent ou sʼy promènent, y cueillent des plantes ou des champignons, y chassent du gibier ou y observent les tritons…
• un territoire dont les usages présents et futurs sont discutés par le mouvement réuni en assemblées, et non pas par des décideurs, des aménageurs, des experts, déconnectés de ce qui se vit ici.
extrait d’un texte paru sur le site de la ZAD
www.zad.nadir.org

Les terres de personne, ou les terres de chacun ?


 
La prétendue supériorité de la propriété privée sur la gestion/exploitation collective est un argument très ancien. Les colons anglais en Australie et en Amérique en ont inventé une version juridique. Ils ont appelé terra nullius («  les terres de personne ») les terrains exploités et gérés collectivement par les Indiens d’Amérique ou les Aborigènes australiens.

Puisque ces terres « sauvages  » ne rapportaient d’argent à personne, et que ces colons pourraient les mettre en valeur, ils avaient donc le droit de se les approprier, et éventuellement de massacrer les autochtones qui ne reconnaissaient pas la légitimité du concept de terra nullius …

La lutte entre bien commun et propriété privée lucrative est donc très ancienne, et elle a connu des épisodes très violents.

La santé, un bien commun - Cordel N°28

En annexe à ce cordel, voir également le lien à la vidéo N°42 de Datagueule


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