CR du café cordel du 29 Janvier 2016 consacré à la Sécu, avec Bernard Friot

mardi 3 mai 2016
par  Bernard Friot, Martine Lalande
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Merci à Bernard Friot pour avoir bien voulu animer notre débat, avec sa connaissance du sujet, son engagement. Merci de sa disponibilité, de la gentillesse avec laquelle il a bien voulu amender notre projet de compte rendu.
Merci à Martine pour la qualité du travail considérable qu’elle a fourni, en plus de ses obligations professionnelles et de ses autres engagements militants, pour décrypter et rédiger ce CR....

Bernard Friot
29 janvier 2016 à Paris
Intro ML
Intro MC

BF  : J’ai conscience de la responsabilité d’intervenir en ce lieu qui a été chanté par Perec, le café de la mairie près de l’église St Sulpice. Une église où en ce moment répètent 400 choristes pour la messe en ut mineur de Mozart (je viens d’y faire un tour et ça a de la gueule les chœurs et cymbales dans la nef baroque) et où Delacroix a peint ce tableau très célèbre de la lutte de Jacob avec l’ange. Vous connaissez ce passage de la Genèse dans lequel Jacob, qui fuit son frère Esaü qui veut le tuer, est arrêté dans sa fuite par un personnage mystérieux qui refuse de lui dire son nom et va le retenir toute la nuit : il finira de cette lutte à la fois blessé (il repartira boiteux) et vainqueur. Bref s’exprimer dans ce contexte pousse à mettre ses pieds dans les traces des anciens - et encore, Martin vient de remonter très loin, au XIIIème siècle avec la charte anglaise initiatrice des communs : nous sommes des peuples de vieille culture et il s’agit d’être à la hauteur. C’est une responsabilité permanente dont il faut que nous soyons conscients car nous sommes beaucoup trop dans la dénonciation, la déploration : tout fout le camp, le péril du Front National etc. Je pense que tout cela ne sert à rien, que c’est de notre sens de la responsabilité collective et de notre détermination à poursuivre la lutte de classes de nos anciens que dépend l’avenir, de la santé comme du reste.
Cette lutte des classes, qu’a-t-elle initié en matière de santé ? Comment retrouver notre dignité collective de peuple prétendant à la souveraineté sur le travail, sur la production, contre le parasitisme de la classe dirigeante ? Ce qu’inaugure 1945 ce n’est pas la Sécurité sociale, tout existe déjà en 1945 : l’assurance maladie et l’assurance vieillesse existent depuis 1930, le régime des fonctionnaires existe depuis 1853, les allocations familiales existent depuis 1917 dans la fonction publique, depuis 1932 dans le privé, les accidents du travail sont reconnus depuis 1898, les mutuelles existent depuis le début du XIXème, les régimes spéciaux (SNCF et autres) sont en place, les régimes des collaborateurs qu’il va falloir vite évidemment débaptiser, on les appellera cadres, en 1945, existent aussi. Tout existe. En 1945 toutes ces institutions de sécurité sociale sont dans un embrouillamini qui est exactement l’actuel : nous ne savons plus très bien quels sont les concours des différentes institutions, leurs financements, qui les gère…C’est la même foire en 1945.
Quel est l’acte révolutionnaire de 1945 ? Ce n’est donc pas de créer la Sécu, puisque tout existe. C’est de créer le Régime Général de la Sécurité sociale. Il est révolutionnaire en ce qu’il est 1) unique, 2) financé par une cotisation interprofessionnelle à taux unique et suffisante pour collecter dès le départ le tiers de la masse salariale, l’équivalent de la moitié du budget de l’Etat, 3) géré par les travailleurs eux-mêmes. Voilà donc la capacité des travailleurs, organisés on va voir par qui et comment, car la question se pose pour nous : quelle est notre capacité aujourd’hui de faire alternative à la folie capitaliste ? La réponse de nos anciens est : il faut s’approprier une part décisive de la valeur (pas quelques pans de la valeur dans une espèce d’exaltation du « small is beautiful », de la proximité, etc.) par des institutions macrosociales gérées par les travailleurs eux-mêmes (à l’époque élus tous les cinq ans et avec des conseils d’administration qui élisaient les directeurs, un dispositif relativement démocratique, électif avec des hiérarchies élues) et qui vont donc gérer au départ le tiers de la masse salariale, la moitié du budget de l’Etat. Lorsque cette expérience formidable est mise à bas en 1960 par de Gaulle, qui est l’adversaire numéro un du régime général de la Sécurité sociale, on en est à l’équivalent du budget de l’Etat
Le régime général s’oppose aux logiques d’entreprise ou de branche qui laissent tout le pouvoir aux patrons (c’est pour cela que l’on veut aujourd’hui en revenir à l’accord d’entreprise comme cœur de droit du travail). C’est une logique résolument nationale au sens d’interprofessionnelle avec un taux unique. Quelle que soit l’entreprise, le taux est le même, ce qui est décisif pour constituer un salariat. Les révolutionnaires de 1945 trouvent, par exemple en matière d’allocations familiales, des centaines de caisses gérées exclusivement par les employeurs et dont le taux de cotisation va de 3 à 17% du salaire brut : les allocations familiales ont été créées certes par la loi en 1932 (en 1917 dans la fonction publique mais là je parle du privé) et en 1936 les occupations d’usines ont abouti à des accords dans lesquels les patrons, pour refuser la totalité de la revendication de hausse des salaires, ont donné des allocations : par exemple là où il y avait une revendication de 20% de hausse des salaires, l’accord de fin de grève donnait 10% de hausse des salaires et 10% de cotisations familiales. Donc en fonction de la conflictualité des entreprises, les taux vont de 3 à 17%. Les révolutionnaires mettent tout à 12% en 1945 et puis le taux montera jusqu’à 16% du salaire brut en 1948. Cela signifie qu’il n’y a pas de droits salariaux différents d’une entreprise à l’autre. On peut constituer un salariat unifié, et la sous-traitance devient beaucoup moins utile et moins possible. En effet, l’origine de la sous-traitance qui détruit les collectifs de travail et la solidarité au travail est dans le fait que les droits ne sont pas les mêmes pour tous. L’employeur va chercher des sous-traitants porteurs de moins de droits, parce que leur convention collective est moins avantageuse, que ses propres salariés. Si nous avons des taux uniques partout, ou une convention collective unique (ce à quoi il faudrait arriver) la sous-traitance n’a plus de raison d’être et la destruction du collectif de travail qu’elle opère de façon extrêmement mortifère non plus.
Donc l’acte révolutionnaire de 1945 consiste dans l’institution d’un régime à taux unique, à gestion ouvrière et qui concerne tous les risques et toute la population. Car pour constituer une alternative à la logique du capital, il faut constituer une classe révolutionnaire, il n’y a pas d’autre solution comme nous le montre la longue histoire de la victoire de la classe bourgeoise, classe révolutionnaire contre l’aristocratie. Dans l’alternative à l’aristocratie qui démarre au XIIIème siècle, la bourgeoisie a comme ambition de remplacer la classe dirigeante de l’époque dans la production de valeur à travers des conflits infinis, parfois en gagnant parfois en étant battue. Cela va durer plusieurs siècles, jusqu’au XVIIIème siècle qui est le triomphe de la bourgeoisie sur l’aristocratie, ponctué en France par 1789 mais c’est un dispositif que l’on va retrouver un peu partout. Cette dynamique suppose qu’une classe, un sujet politique se constitue, s’unifie, produise autrement (la production capitaliste n’est pas la production féodale), marginalise progressivement le mode de production antérieur et la classe qui en était porteuse (mais sans mettre derrière le mot progressif l’idée que par un réformisme tranquille on peut passer à autre chose sans une bagarre permanente avec des avancées et des reculs). Rien de nouveau ne se fait en dehors de cette constitution d’une classe révolutionnaire qui a comme ambition de maîtriser toute la production, selon des modalités autres que celles de la classe qu’elle entend remplacer. Les modalités de production de la valeur économique dans la logique capitaliste se sont imposées du XIIIème au XVIIIème siècle pour triompher fin XVIIIème début XIXème. La bourgeoisie a alors commencé à s’affronter à une alternative, la classe ouvrière, qui entreprend de la marginaliser. Ce que je dis est une mauvaise nouvelle pour ceux qui attendent le grand soir ou qui se disent « je ne voudrais pas mourir avant d’avoir vu la fin du capitalisme » : je crois qu’il faudra accepter comme Jacob que la bataille avec l’ange nous laisse boiteux et prêts à continuer de marcher… mais c’est une bonne nouvelle pour tous ceux qui, ayant renoncé à cette lecture romantique du « nous ne sommes rien, soyons tout », peuvent mesurer qu’il y a des institutions révolutionnaires qui existent déjà, que la classe révolutionnaire a déjà commencé à se constituer et qu’elle a déjà remporté des victoires sur lesquelles nous appuyer pour aller plus loin.
Remporter une victoire c’est pouvoir instituer une alternative. Instituer, c’est construire des éléments matériels : des caisses, une socialisation de la valeur, un mode de gestion, et c’est aussi produire des représentations qui changent en général après et beaucoup plus lentement que les institutions. Par exemple 1945 inaugure une nouvelle production de la santé alors qu’aujourd’hui encore aussi bien les soignants que les soignés considèrent qu’il y a dépense de santé et non pas production de santé. C’est comme si on disait qu’il y a dépense d’automobiles et non pas production d’automobiles, ce qui parait absurde. Le régime général tel que je l’ai défini va assumer dans les années soixante la mutation considérable de l’appareil sanitaire que représente la sanitarisation de l’appareil hospitalier (qui était un mouroir globalement jusque dans les années cinquante), en partant des CHU (imaginez ce que c’est que de salarier l’élite du corps médical) jusqu’aux hospices, transformés dans les années soixante-dix en hôpitaux locaux. En passant par l’intégration de la psychiatrie dans l’assurance maladie alors qu’elle relevait de l’aide sociale (jusqu’en 1970 les maladies de plus de 3 ans n’étaient pas couvertes par l’assurance maladie). A cette mutation de l’appareil hospitalier s’ajoute une mutation de la médecine de ville avec le conventionnement à partir de 1961. Jusqu’en 1961, les médecins de ville, parce qu’ils refusent une convention avec l’assurance maladie, sont remboursés par les tarifs de responsabilité (qui ne représentent rien du tout, comme le remboursement des lunettes par la Sécu aujourd’hui) : la médecine ambulatoire, inaccessible à la population populaire, est assumée par la santé publique des offices d’hygiène sociale dans les années trente et puis par ce que le gouvernement de Vichy met en place en matière de PMI, de santé scolaire, etc. qui sera poursuivi à la Libération. C’est donc à partir des années soixante que la population dans sa généralité accède à la médecine ambulatoire libérale.
Qu’est-ce qui rend possible cette mutation formidable des années soixante ? C’est précisément la mise en place d’un régime général de Sécurité sociale, qui permet de collecter une part considérable de la valeur. La santé, c’est aujourd’hui 200 milliards, 240 avec les médicaments, encore produits hélas de façon capitaliste. A cette hauteur de socialisation de la valeur, il va être possible d’inventer une façon de produire la santé alternative à la façon capitaliste, avec un salaire à vie pour les soignants, et donc pas de marché du travail, et le subventionnement de l’investissement, et donc pas d’appel au marché des capitaux. Produire autrement avec d’autres institutions que celles du capital, c’est cela être révolutionnaire. J’examine successivement le salaire à vie des soignants et le financement de l’investissement sans crédit.
Le salaire à vie prend deux formes extrêmement intéressantes pour l’avenir : celle de la fonction publique, et celle des libéraux. Dans la fonction publique hospitalière comme dans toute fonction publique, le personnel est payé non pas pour son poste mais pour son grade. Ce n’est pas le poste de travail qui est le support du salaire ni de la qualification, c’est la personne elle-même. C’est pour cela qu’il y a salaire à vie. Parce que ce n’est pas le poste qui est payé, c’est la personne à travers son grade. Ce grade, c’est un attribut de la personne qui ne s’épuise pas avec la fin du service, qui va jusqu’à la mort. La pension de retraite est la poursuite du dernier salaire. Un salarié à vie ne passe jamais par le chômage. D’ailleurs tous les réformateurs depuis Rocard essaient d’introduire le chômage, de faire un salaire à la prime, c’est-à-dire au poste. C’est dans l’ordre des choses, il n’y a pas à s’en étonner. Le seul problème est que nous soyons impuissants face à cette hargne contre le salaire à vie, anticapitaliste puisqu’il supprime le chantage à l’emploi et la subordination à l’employeur.
Deuxième innovation très intéressante, ce sont les soignants libéraux, des travailleurs indépendants eux aussi en salaire à vie. Il suffit de comparer un avocat, un architecte et un toubib, un architecte et un infirmier libéral, il n’y a pas photo. Un infirmier libéral s’installe et il a tout de suite une patientèle parce que sa patientèle est solvabilisée, et lui-même est payé par cette socialisation de la valeur qu’opère l’assurance maladie avec qui il passe convention. Alors que l’architecte va vivre difficilement jusqu’à 45 ans sauf s’il est gratte-papiers d’un notable de la profession. Nous avons une invention extrêmement intéressante du travail indépendant. C’est pour cela que je suis contre les mots d’ordre de salarisation des médecins libéraux. Il s’agit de supprimer le secteur 2 bien sûr, de supprimer les dépassements d’honoraires, et de réhonorer le secteur 1. L’invention du travail indépendant protégé du capital dans l’assurance maladie est porteuse d’avenir pour tous ceux qui cherchent dans l’économie collaborative une forme d’indépendance absolument illusoire. C’est une urgence. A la fois il faut saluer cette aspiration de la jeunesse à ne pas avoir d’employeur et en même temps il faut l’assumer à partir de la seule expérience que nous ayons de travailleur indépendant qui ait sens, celle des soignants libéraux.
Insistons sur ce point. L’assurance maladie supprime cette institution majeure du capital qu’est le marché du travail. Alors que nous sommes les seuls producteurs de valeur, il faut que nous quémandions un emploi à un propriétaire de l’outil de travail, que nous nous transformions en demandeurs alors que nous sommes les seuls offreurs, et que nous intériorisons le fait que nous sommes des mineurs sociaux. Le marché du travail est une institution extrêmement violente du capital que précisément aussi bien la fonction publique hospitalière que le conventionnement en secteur 1 des soignants libéraux remplacent par une toute autre logique de mobilité professionnelle, qui ne passe pas par le chantage à l’emploi et la subordination à l’employeur. Il y a là un modèle à généraliser pour tous ceux qui aujourd’hui à juste ne veulent pas passer par le marché du travail, refusent le chantage à l’emploi mais le font au prix du bricolage avec le RSA, au prix d’un abaissement de l’ambition de reconnaissance salariale, en disant « ah si on avait un revenu de base de 500 balles par mois, inconditionnel, on ne recevrait plus de lettre de la CAF disant que nous avons touché 15 euros de trop, on nous laisserait en paix » … et (c’est moi qui ajoute) on jouerait dans notre bac à sable avec nos 500 balles. Car le revenu de base, la classe dirigeante s’en accommode très bien. Son projet est que nous soyons auto-entrepreneurs avec un revenu de base que nous compléterons avec une semaine de location de notre appart par Airbnb et 50kilomètres de notre bagnole par Blablacar, bref toutes ces merdes de l’économie collaborative et sa marchandisation infinie des rapports interpersonnels. Tout en alimentant la rente des propriétaires des bases de données : je rappelle que l’introduction en bourse de Airbnb s’est faite à 8 milliards de dollars il y a quelques mois. Nous alimentons la rente de ces parasites en croyant que nous sommes en collaboratif, tous unis et tous frères. Contre le duo auto-entreprenariat / revenu de base, la santé a inventé le travailleur indépendant conventionné qui peut, transposé, servir de modèle à tous les indépendants.
A côté du salaire à vie, l’autre institution révolutionnaire décisive présente dans la production de santé est la subvention de l’investissement. Ce n’est pas vraiment la santé qui a inventé ça, cela avait été inventé déjà dans le service public, dans l’administration. A Réseau Salariat, l’association éducation populaire présente ici et au nom de laquelle je m’exprime, nous en avions encore un témoignage récent en octobre dernier quand on a fêté les 70 ans de la Sécu par une table ronde commune avec l’UFAL et le Collectif de défense des hôpitaux de proximité : une infirmière dans la salle, qui était en retraite, nous a rappelé que l’hôpital parisien dans lequel elle travaillait avait été construit dans les années soixante sans aucun appel au marché des capitaux, par une subvention du Trésor public et de l’Assurance maladie. Si nous nous approprions dans une caisse d’assurance maladie une part significative de la valeur qui ne va pas être socialisée dans une logique de profit mais qui va être socialisée par nous dans un régime général de Sécurité sociale, alors nous pouvons subventionner l’investissement. Les hôpitaux n’ont pas eu à rembourser la subvention de l’assurance maladie. Nous avons donc eu un dispositif maîtrisé par les salariés qui géraient l’assurance maladie qui a permis une totale alternative à la forme capitaliste de la production qui, elle, repose sur le marché du travail et le crédit à l’investissement.
Le droit de propriété lucrative, le fait que l’on puisse tirer un revenu d’un patrimoine, institution majeure du capitalisme, s’accompagne en effet de deux autres institutions spécifiques à ce mode de production, d’une part le marché du travail pour les non propriétaires de l’outil de travail, d’autre part le crédit. Ceux qui se sont appropriés dans le profit une partie de la valeur que nous produisons nous la prêtent ensuite. Je te pique, je te prête, tu me rembourses. Avec un taux de rendement de 15%, 20%, 40%. J’ai l’exemple d’un directeur d’usine, une grosse usine, qui a démissionné car les actionnaires (c’était un groupe évangélique des USA avec des fondations extrêmement généreuses, soutien aux pauvres…, des gens qui blanchissent leur argent sale avec ces fondations comme Arnaud le fait avec toutes ses fondations pour l’art, …je n’insiste pas tellement tout cela est ignoble) ces bons apôtres exigeaient 40% de retour sur investissement pour une boîte qui faisait 2% par an de croissance. Donc je te pique, je te prête, tu me rembourses avec un taux de rendement inaccessible sauf à ravager les droits salariaux et compromettre la recherche-développement.
Tout cela n’est pas inéluctable, ce n’est pas dans la nature, et la classe ouvrière a inventé et pratiqué à large échelle l’alternative : non pas le crédit public qui légitime le crédit privé, mais la subvention qui est rendue possible par la centralisation d’une partie de la valeur économique dans la cotisation. Et les finances des hôpitaux étaient infiniment plus saines lorsqu’augmentait le taux de cotisation maladie que depuis qu’il n’augmente plus et que les hôpitaux font appel soit aux partenariats public/privé, soit au marché des capitaux par la CADES. Ainsi nous avons inventé à la place de la séquence profit/crédit qui est une séquence spécifiquement capitaliste, une toute autre séquence qui est la séquence cotisation/subvention. Une partie de la valeur va à une cotisation gérée démocratiquement (une démocratie à reconquérir bien sûr) et cette partie de la valeur va permettre de subventionner l’investissement. La valeur supplémentaire que rendra possible le travail lié à cet investissement nouveau permettra de financer par une cotisation supplémentaire le cycle ultérieur cotisation/ subvention.
Voilà la nouveauté de l’appareil de santé, voilà le programme de ce que nous avons à faire. Ne cherchons pas midi à 14 heures, tout est déjà là, il s’agit, pour l’honorer, de sortir de toute cette activité mémorielle dans laquelle nous sommes aujourd’hui englués. Nous faisons mémoire à la mesure de notre désarroi collectif. Alors qu’il ne s’agit pas de faire mémoire et de célébrer, il s’agit d’honorer en actualisant.
Actualiser c’est-à-dire travailler à la hausse de la part de la valeur qui est mutualisée sous forme de cotisation pour payer des salaires à vie et subventionner l’investissement. C’est-à-dire pour que le mode de production de la santé dans sa double caractéristique : pas de marché du travail, pas de crédit mais subvention, soit généralisé à toute la production. Cela suppose de se battre pour la hausse du taux de cotisation maladie…Qui le fait ? Même pas les soignants. Ils ont tellement intériorisé qu’ils dépensent, alors qu’ils produisent (ils produisent autrement) qu’ils disent « C’est vrai que soigner est un coût…mais ce qu’on fait est utile, aidez-nous à défendre le service public ». Et on fait le dos rond sur le fait qu’on est fonctionnaire, sur le fait qu’on est libéral conventionné. On connaît la chanson démagogique des réformateurs : « Les libéraux c’est des rentiers, la loi Macron va mettre un peu d’ordre dans tout ça… » Au lieu de porter haut le drapeau du salaire à vie qui doit être généralisé à tous. Tout le monde a droit au salaire à vie. Mais pour rendre ce mot d’ordre crédible, il faut que nous posions que les soignants produisent 10% du PIB, ils ne dépensent pas 10% du PIB.
J’ai évoqué la production des médicaments, restée elle capitaliste. Nous battre pour la généralisation de la production anticapitaliste de la santé suppose aussi de rendre populaire que seules des entreprises propriété de leurs salariés puissent émarger aux marchés publics. Ce n’est pas en moralisant les marchés financiers qu’on va en finir avec Sanofi. En finir avec Sanofi c’est interdire aux entreprises capitalistes l’accès aux marchés publics. Une entreprise capitaliste n’existe que par les marchés publics. Sanofi n’existe que parce qu’il y a marché public des médicaments par l’assurance maladie. Sinon Sanofi serait en de grandes difficultés. Suez, Bouygues, tous les grands groupes capitalistes, n’existent que par les marchés publics. Le mot d’ordre « aucun marché public ne doit aller à des entreprises capitalistes » va sortir les coopératives de leur marginalité et nous permette d’avancer dans la propriété d’usage des entreprises par ceux qui y travaillent.
Encore faut-il que vous ayez un déplacement de l’activité syndicale au sein de l’hôpital. Sortir de la plainte et de la dénonciation. Honorer les conquêtes de nos anciens c’est déplacer l’action syndicale dans le service public vers l’auto-organisation des salariés. Le ministre communiste de la santé en 1981, Ralite, avait tenté de mettre en place l’élection des chefs de service. Cela avait fait la bronca, il n’a pas réussi, et surtout il n’était pas soutenu par les ministres socialistes et toute la bande autour de Mitterrand bien sûr, il était tout seul dans cette affaire. Le fonctionnement démocratique de la production peut s’imposer si les syndicats deviennent l’outil d’auto-organisation des travailleurs, en commençant là où il y a un statut protecteur du personnel. Les fonctionnaires qui me disent qu’ils ne peuvent pas résister à un ordre injuste, je leur dis « C’est faux. Dès lors que vous avez un statut, vous pouvez résister collectivement à un ordre injuste ». Je me souviens d’un moment où dans un service que je connais il avait été dit que les patients devraient donner leur carte d’identité. Tous les personnels ont refusé, aussitôt l’ARS a renoncé à ce truc exorbitant qui avait pour objectif évidemment de mettre en cause l’AME et l’accès des sans-papiers aux soins. Nous pouvons absolument, nous fonctionnaires, résister collectivement aux ordres injustes et aux dérives gestionnaires qui organisent la transformation de la clinique en protocoles… Tout cela est résistible, encore faut-il que les personnels arrêtent d’être dans la plainte. Qu’ils honorent leur statut. C’est une responsabilité, pour faire la preuve que quand on n’a pas de capital sur le dos, quand on a un statut de fonctionnaire, cela marche mieux. Comment voulez-vous convaincre le privé que nous avons tous droit à un salaire à vie, si ceux qui ont un salaire à vie n’honorent pas leur statut ? Comment voulez-vous convaincre les travailleurs indépendants ou tous ceux qui sont dans l’illusion de l’économie collaborative, qu’il y a une autre façon d’être indépendants si les indépendants de santé n’honorent pas leur statut ? Et laissent organiser la fuite dans le secteur 2 par absence de combativité sur la convention de secteur 1 (la consultation à 23 euros est un scandale). Il y a là une responsabilité qui est la seule voie possible pour continuer à produire l’alternative que nos anciens ont commencé à construire.
Débat
Philippe, membre de réseau salariat  : J’ai deux questions. La première : Bernard Friot a parlé de la socialisation de la valeur comme permettant à un travailleur indépendant, comme un infirmier libéral, de trouver une patientèle sans difficulté. Il a parlé de la façon dont se faisait l’investissement dans le domaine de la santé. Je voudrais savoir s’il y avait un marché de la santé. Au sens où comme tout marché, marché des savonnettes, marché de l’art, marché de n’importe quoi, est-ce qu’il y a un marché de la santé ? Et comment ce système de socialisation diffère si ce marché existe toujours ou s’il n’y en a plus ? La deuxième question est par rapport au salariat. Bernard nous a dit que la cotisation à taux unique avait permis dès le départ de collecter un tiers de la masse salariale, je voudrais savoir si, dans ce qui est en train de se mettre en place, le salariat n’est pas voué aussi à disparaître, remplacé que par des autoentrepreneurs. Et dans ce cas, s’il n’y a plus de salariés, comment maintenir le système de la cotisation, du financement par la subvention du système de santé et des autres systèmes de socialisation ?
BF  : Mettons-nous bien d’accord sur le fait que le marché n’est pas ce qui caractérise le capitalisme. Le marché, c’est lorsqu’il y a des biens à prix. Une AMAP c’est un marché, car il y a des marchandises. Un marché peut être parfaitement non capitaliste dès lors qu’il repose sur des productions, des marchandises qui ne sont pas produites par des forces de travail exploitées par un employeur, un propriétaire et que leur vente ne donne pas l’occasion d’une extorsion de valeur, de profit. Le paysan d’une AMAP vend des tomates et son bénéfice c’est la reconnaissance de la valeur qu’il a produite par son travail. Donc le marché n’est pas une calamité. Le marché est même souvent très supérieur à la planification pour organiser un certain nombre de productions. Cela dit, oui il y a un marché capitaliste en matière de santé, même s’il y a une régulation mais qui reste très faible, c’est la production de médicaments et d’appareillage médical. Là il y a bien un marché capitaliste qu’il faut détruire. Mais pas forcément en détruisant le marché. Ce peut être des coopératives qui produiront des biens à prix que sont les médicaments. Ou des seringues ou des appareils de radiographie etc. Il n’y a pas en soi de supériorité de la gratuité sur le bien à prix. Tout dépend des cas d’espèce, on ne peut pas faire une théorie générale sur la supériorité de la gratuité. En revanche, il y a des biens dont on est en train de faire le constat qu’il faut qu’ils deviennent gratuits. Les transports de proximité, les premières consommations d’eau et d’énergie, le logement au moins pour une part, ne peuvent plus être laissés au marché. Voilà quelques éléments sur marché ou non marché.
P  : La production de santé telle que tu en as parlé, ce n’est pas un marché de marchandises, ce sont des services. Cela n’a rien à voir ?
BF  : Un service peut être une marchandise. Tu peux faire de l’école une marchandise. Tu vas vendre du e-learning avec des cours etc. L’enseignement supérieur est progressivement lié au capitalisme : de plus en plus d’écoles de commerce, comme les chambres de commerce ne peuvent plus assumer faute de fiscalité locale suffisante leur production d’éducation, sont en train de passer sous la coupe de groupes capitalistes d’éducation, prenez les travaux d’Aurélien Casta sur la question qui sont tout à fait édifiants. Nous sommes dans du service et il y a marchandise bien sûr. Ce n’est pas le fait qu’il y ait un bien matériel qui constitue la marchandise.
Maintenant, le salariat voué à disparaître ? Ne pratiquons pas la prophétie autoréalisatrice. Oui, bien sûr, pour Macron, pour Uber, pour Amazon évidemment qu’il est voué à disparaître, mais pas pour nous. Précisément nous disposons avec les libéraux de santé -encore une fois, ce n’est pas le Pérou, pas plus que ne l’est la fonction publique hospitalière, mais c’est un tremplin - nous sommes dans du déjà-là qui inaugure quelque chose…qui n’est pas abouti bien sûr. Et c’est tellement anticapitaliste que c’est en permanence menacé. Mais il y a là une alternative à l’ubérisation de la société, alternative qui est le salaire à vie pour tous. Et donc le salariat généralisé si on appelle salariat les institutions du salaire. Les libéraux de santé relèvent du salariat : c’est l’institution du salaire, le salaire socialisé par l’assurance maladie qui fonde le statut des libéraux de santé. Il faut que le mot salariat assume la nouveauté de tout cela et qu’on ne le confonde plus avec la subordination à un employeur sur le marché du travail.
Alexandre, 27 ans, qui gère une petite entreprise de développement informatique  : Je suis à peu près d’accord sur la notion, mais est-ce qu’il ne faut pas changer le mot ? Pour nous, pour moi et les gens que je côtoie, le mot salaire est connoté par asservissement à un employeur. Je suggérerais qu’on change de mot.
BF  : Le Parti Communiste et la CGT n’ont pas transmis l’efficience actuelle de la mutation que connaît le salaire dans les années 1920-1970 sous l’impulsion de la classe ouvrière. Si nous assumons la nouveauté du salaire alors nous pouvons nous adresser à tous ces trentenaires éduqués que vous évoquez. Là encore j’insiste sur la responsabilité de ceux qui, dans les syndicats et les partis, sont les héritiers des créateurs du régime général de la Sécurité sociale, dont je n’ai pas dit qui c’était : c’étaient les communistes et une fraction de la CGT, celle qui n’est pas passée à FO en 1947. Cela s’est fait d’autant plus difficilement que la CGT était en plein conflit à l’époque. Dans les travaux d’Annie Lacroix-Riz sur l’histoire de la CGT des années 1940, on voit bien la CGT en proie au chantage de ceux qui vont quitter la confédération et disent « Nous ne voulons pas entrer dans le régime général, si vous nous obligez on s’en va ». C’est comme cela que les fonctionnaires n’entreront qu’à moitié dans le régime général. La Mutualité devait disparaître comme organisme payeur dans le régime général. Mais la loi Morice de mars 1947 va autoriser les mutuelles à gérer le remboursement de santé pour les fonctionnaires. Et ce sont les mutuelles de la fonction publique qui vont permettre la poursuite de l’activité de remboursement des soins par cet adversaire redoutable du régime général qu’est la Mutualité, cheval de Troie du patronat surtout depuis que l’ANI de 2013 impose les régimes complémentaires dans chaque entreprise : le patronat utilise la Mutualité comme arme de guerre contre le régime général de la Sécurité sociale. Les fonctionnaires, en faisant le chantage de la scission (et ils quitteront d’ailleurs pour partie la CGT, non pas pour FO, mais pour des organisations autonomes comme la FEN, la fédération de l’éducation nationale) sauvent la mise à la Mutualité. Donc c’est une partie de la CGT (majoritaire certes car les communistes sont majoritaires à la CGT à l’époque, mais quand même avec des fédérations comme la poste, les fonctionnaires…tout à fait hostiles au dispositif) et les ministres communistes qui sont tout seuls, qui ont mis en place le régime général.
Il faut se défaire de l’idée qu’il y avait une espèce d’unanimité du Conseil National de la Résistance où, des gaullistes aux communistes, tous auraient décidé de créer le régime général de la Sécurité sociale... Pas du tout : le travail sur archives nous montre, dans les gouvernements tripartites de la Libération avec des ministres communistes, socialistes et MRP (puisque de Gaulle a démissionné dès janvier 1946), l’acharnement des ministres socialistes et MRP contre le programme du CNR. Par exemple, la construction d’EDF-GDF est confiée au départ à un socialiste, d’ailleurs responsable syndical à la CGT du côté de ceux qui vont aller à FO, Robert Lacoste, qui s’illustrera ensuite en Algérie. Ministre de la production industrielle, il fait tout pour qu’il n’y ait pas nationalisation d’EDF-GDF. Il va falloir qu’en novembre 1945 arrive au ministère Marcel Paul, libéré de Mauthausen où il avait organisé la résistance, et secrétaire général de la fédération CGT de l’énergie. Ce ministre communiste va mettre en place le programme du CNR contre tous ses collègues. Le statut d’EDF-GDF, il va le faire passer en catimini sans toutes les signatures obligatoires, entre deux gouvernements, le 22 juin 1946. Marcel Paul est chassé par Léon Blum en décembre 1946 et immédiatement remplacé … par Robert Lacoste, qui détricote tout ce qui dans le statut et la loi de nationalisation organisait le pouvoir des salariés. Le statut de la fonction publique d’octobre 1946 est voté avec une hostilité résolue de la SFIO.
Je vous donne un exemple qui m’avait frappé en regardant les archives : la CFTC qui est l’ancêtre de la CFDT refuse l’ordonnance de 1945 et ne veut pas participer à la mise en place du régime général. Il n’y a donc que la CGT, dans sa fraction majoritaire certes mais en proie à des fédérations contestatrices qui vont former ensuite FO et la FEN, qui participe. Il faut passer de plus de 1000 caisses à deux caisses par département. Il faut donc trouver des locaux assez grands, en plein après-guerre. Dès qu’un militant CGT trouve un local vide, il est immédiatement préempté par une administration. Il ne peut pas le préempter lui car la Sécurité sociale c’est privé. Cela veut dire que tous les ministères non communistes sont vent-debout contre la mise en place du régime général.
Cela n’a rien à voir avec la question posée mais cela semblait quand même utile de le dire à ce moment-là.
A  : Je demandais si on ne pouvait pas utiliser un autre mot que salariat, qui est connoté comme asservissement au patron. C’est ce contre quoi on lutte, l’asservissement, donc pour se faire comprendre il faudrait un autre mot.
X  : Si on met « à vie » derrière « salaire », cela change tout
A  : Pas forcément
BF  : J’entends ce que vous dites. Mais par quoi va-t-on remplacer le mot « salaire » ? Par « revenu », revenu contributif comme dit Stiegler ? Là on est chez l’adversaire de classe. Encore une fois je suis extrêmement admiratif et j’attends énormément (moi je suis de la tradition cégéto-communiste, je suis au Parti Communiste, je suis à la FSU) j’attends énormément de ces trentenaires ou un peu moins que trentenaires éduqués qui ne veulent pas produire de la merde pour le capital, qui ne veulent pas d’employeurs. Mais je constate qu’ils sont dans l’ignorance des outils décisifs qui ont été créés par les communistes, et aussi les trotskistes et les anarchistes mobilisés dans la CGT. C’est la fusion entre cette jeunesse anticapitaliste et la tradition révolutionnaire de la classe ouvrière qu’il faut aujourd’hui réussir. Dans ma génération, on attendait qu’un patron nous donne du travail.
Y  : Mais comme on est convaincus qu’on n’en aura pas…
BF  : Il y a l’effet bénéfique de cette désertion des employeurs mais il s’agit justement de l’assumer non pas en tombant dans le piège de l’autoentrepreneuriat mais en bénéficiant de la tradition révolutionnaire qui a fait sortir le mot salaire de sa définition comme prix de la force de travail contre subordination à un employeur sur le marché du travail. Comme retraité je suis salarié, j’ai un salaire à vie de 4300 euros par mois jusqu’à ma mort et c’est la mutualisation de la valeur dans le trésor public qui le rend possible. Cette liberté que me donne le salaire à vie, il n’y a aucune raison que tout le monde ne l’ait pas. C’est cette ambition-là qu’il faut avoir, sinon on fait de malheur vertu. Des tas de gens disent : « Comment mais 4300 euros, c’est trop, moi je m’en tire à 1500 euros, même à 800 euros. Pour pouvoir m’en tirer à 800 euros, j’ai été dans la Drôme et je produis des carottes… ». Je n’ai aucun mépris, au contraire j’admire ceux qui ont le culot de faire cela. Le problème est : comment ne pas faire de ces initiatives des impasses ou des témoignages condamnés à la marginalité. Cela suppose que ceux qui sont dans ma situation soient capables de transmettre le fait qu’il y a une alternative à l’ubérisation de la société, qu’il y a une alternative à la disparition du salaire telle que Stiegler en fait la théorie fumeuse, qu’il y a une possibilité infiniment plus intéressante que le revenu, de base ou contributif. C’est le salaire comme droit politique. A 18 ans, tout le monde a droit au salaire. Parce que nous nous posons comme la classe déterminée à prendre la place de la bourgeoisie pour décider du travail et de la valeur. Nous nous posons comme tel par un droit politique. Le salaire doit être un droit politique, attribué automatiquement et à vie à tous à 18 ans pour son premier niveau (par exemple 1500 euros nets par mois), et progressant au fur et à mesure d’épreuves de qualification sans jamais être supprimé ou diminué. Alors que chez Stiegler il n’y a aucun droit politique au salaire, le revenu est en fonction de la contribution appréciée sur le marché du travail ou sur celui des biens et services. Il importe de lier le salaire au mot « droit politique » et non plus au mot « marché du travail ».
Elisabeth  : il me semblait que vous étiez un peu en train de rêver sur les libéraux de santé. Moi je suis libérale de santé depuis 35 ans, je sais d’où je cause. Je pense qu’il faut ne pas être dans l’angélisme. Beaucoup de mes collègues se sont approprié les sous de la Sécu pour vendre leurs moule à gaufres eux-mêmes et ils ont décidé qu’ils feraient des gaufres avec de la chantilly mais pas du tout de savoir quels sont les besoin de santé des gens. Après il y a un certain nombre de médecins libéraux minoritaires qui ont essayé de travailler en équipe en laissant la place aux usagers en faisant du pluridiscipinaire, il y a des gens qui ont essayé d’avoir une pratique de progrès en prenant en compte les inégalités sociales de santé etc mais on connait tous des docteurs qui s’occupent de leur tiroir-caisse, qui font de la phlébologie etc, qui n’en sont pas du tout à prendre à bras-le-corps les besoins de santé. En même temps j’étais très contente d’être libérale malgré tout parce que j’ai pu inventer des trucs et faire comme je voulais. Mais actuellement parmi les jeunes, dieu merci il y a un mouvement pour être salariés, en équipe en pluridisciplinaire avec des infirmiers, des kinés et prenant en compte la place des usagers pour savoir quoi faire. Mais j’ai l’impression que la société a laissé les docteurs utiliser les sous de la Sécu pour rembourser leur propre maison de campagne et c’est tout. Nous on a été tout le temps en colère, on se coltinait les choses les plus difficiles pendant que d’autres…
Martine  : …faisaient marcher le tiroir-caisse. Je veux bien compléter car cela m’a choqué la réflexion : « la consultation à 23 euros c’est un scandale »… ? Ce qui est un scandale c’est le paiement à l’acte, qui est une façon en effet de gaspiller l’argent de la Sécu pour enrichir les gens. On ne peut pas dire que le système libéral français, même s’il est absolument solvable, est génial. Nous quand même nous demandons d’autres modes de paiement, peut-être pas le salariat pour les artisans que sont les médecins de ville, mais peut-être d’autres modes de paiement comme au nombre de patients qu’ils prennent en charge…En tous cas le contenu du travail, c’est important.
Olivier  : la capitation
Martine  : oui, je suis pour la capitation, mais personne ne m’écoute, ni Marisol Touraine ni mon syndicat
Elisabeth  : Comment on prend en compte tous les éléments de la santé ? Nous, on nous a formés sur un modèle très capitalistique de la vision de la santé comme si le social, le psychique, le relationnel cela n’existait pas. De fait, les collègues qui n’ont pas eu la chance de réfléchir…tout le monde connaît des docteurs un peu débiles
Martine  : et ils font le jeu du marché du médicament
Z  : il y a des docteurs un peu débiles, et des salariés un peu débiles aussi…
BF  : Des salariés débiles il y en a effectivement autant que des libéraux débiles. La débilité n’est pas liée au mode d’exercice. La capitation fonctionne en Allemagne et ce n’est pas beaucoup mieux que chez nous. Donc la capitation n’est pas la solution. La médecine salariée anglaise n’est pas meilleure que la nôtre donc ça n’est pas non plus la solution. Au demeurant, la question n’est pas là pour moi. Il y a une réelle aspiration dans la jeunesse à l’indépendance professionnelle, d’ailleurs vous y avez fait allusion. Il se trouve que nous avons pour le moment un modèle d’indépendants qui existe hors de la logique du capital, alors que tous les indépendants de l’agriculture, du commerce, de l’artisanat un petit peu moins, sont sous la coupe du capital avec l’agrobusiness pour les agriculteurs, la franchise pour les commerçants. Nos commerces sont le fait de faux indépendants qui sont un élément de la ligne de profit de l’acteur central de la filière, le minotier par exemple pour les boulangers. Les seuls indépendants qui ont résisté sont les libéraux, protégés par la loi interdisant au capital d’être actionnaire majoritaire de sociétés d’exercice libéral. Or il y a urgence à réfléchir sur le travail indépendant car la loi Macron a fait sauter cette règle qui dit qu’un avocat ne peut être associé qu’au cabinet dans lequel il travaille, ce qui empêchait toute logique capitaliste dans le champ judiciaire. Au contraire, la biologie, où il a été possible qu’un médecin ou un pharmacien soit propriétaire d’une multitude de laboratoires biologiques, est entrée dans une logique capitaliste. L’autre mode de protection du travail indépendant a été la socialisation du salaire dans l’assurance maladie pour solvabiliser la population avec des travailleurs indépendants qui passent convention avec l’assurance maladie, et c’est cela qu’il faut généraliser.
Je suis évidemment pour le tiers-payant. Je suis aussi pour que la rémunération des indépendants, qu’ils soient médecins ou autres d’ailleurs, dépende de leur qualification et non pas du nombre de leurs actes. Je suis pour le salaire à la qualification pour tous. Mais salaire à la qualification pour tous cela ne veut pas dire suppression de la logique marchande car elle peut être supérieure au contingentement. Vous voulez que nous ayons droit chacun à trois pâtisseries par semaine ? Vous voulez que les boulangeries soient gratuites et que l’on contingente notre accès au pain… ? Cela ne marche jamais ces affaires-là… Il y a des tas de lieux dans lesquels la logique marchande est supérieure au contingentement. C’est pour cela que je suis pour l’affectation marchande de tout un tas de biens et services produits par des indépendants. Mais que ce ne soit pas en fonction de leur chiffre d’affaires que ces indépendants soient payés. Qu’ils soient payés à leur qualification, non pas au nombre d’actes pour les libéraux de santé, non pas au nombre de patients par la capitation qui n’est jamais qu’une autre facette du nombre d’actes Les indépendants entrés dans la logique du salaire socialisé que je préconise, ce n’est pas leur chiffre d’affaires qui décidera de leurs ressources mais leur qualification. C’est-à-dire, je le précise car le mot peut être compris à contresens, non pas leur diplôme (ça, c’est leur certification, pas leur qualification) mais leur expérience professionnelle. La valeur ajoutée de leur entreprise, ils en garderont une partie comme autofinancement et le reste ira à une cotisation salaire et à une cotisation économique. Et des caisses de salaire et des caisses d’investissement assureront ces deux éléments décisifs pour qu’il y ait production que sont le salaire et l’investissement.
Martine  : Donc on salarie les médecins.
BF  : On salarie tout le monde, donc aussi les médecins au sens où ils vivront, comme tous, d’un salaire à la qualification. Mais on ne salarie pas les travailleurs au sens où ils ont un employeur qui décide de les embaucher et de les licencier et qui les paye sur la valeur ajoutée. Ces salaires s’inscrivent dans une hiérarchie des qualifications, par exemple de 1 à 4 (de 1500 à 6000 euros par mois donc si le premier niveau de qualification est à 1500 euros). Tous le même salaire, je n’y crois pas, car c’est déplacer la violence sociale hors de son expression monétaire. Evidemment qu’il y a une violence sociale dans la hiérarchie des salaires. Mais elle est régulable, la lutte de classes portera sur les critères de qualification, sur la composition des jurys, sur l’écart entre le premier et le dernier niveau, etc. Le salaire unique tel que je le vois se profiler dans certains projets de maisons médicales, la secrétaire, les toubibs, les infirmiers avec le même salaire, c’est la restauration du pouvoir ailleurs. Cela peut être le droit de cuissage, ou tout ce que vous voulez…Le pouvoir, cela ne s’abolit pas, cela se gère, par la hiérarchie des salaires. Sinon il revient par la fenêtre si on l’a chassé par la porte, de la pire façon. La monnaie exprime et régule tout à la fois la violence économique.
Romain, étudiant : Je travaille sur Cuba. Il y a des similitudes, justement. Vous parlez d’une gestion macrosociale des ressources, c’est ce qui se passe à Cuba. Et cela fonctionne extrêmement bien. Ils ont aboli le marché du travail et la propriété lucrative dans pas mal de cas notamment au niveau du marché immobilier, entre autres. Il y a une hiérarchie des salaires. Cela marche très bien. Par exemple dans le domaine de la santé, il y a une médecine de prévention. Cela marche aussi pour l’éducation. Mais dans le transport et l’alimentaire, cela pose problème et ce ne sont pas des secteurs anodins. Je voulais savoir comment vous voyez ça. Et la deuxième question : on ne peut pas vraiment juger Cuba car il y a un contexte géopolitique, avec le blocus. En partant de cela et en revenant à la France : on veut la généralisation de la cotisation sociale. Mais qu’en est-il des autres pouvoirs politiques autour de la France ?
BF  : Qu’est-ce que vous visez dans ce qui ne marche pas dans l’agriculture ? Je ne connais pas Cuba.
Romain  : Il y a eu plusieurs modes de gestion parce qu’ils en ont testé plein, il y a eu d’abord les fermes d’Etat, où il y avait une propriété d’usage, ils venaient et ils étaient payés, tous les salaires sont socialisés dans une même caisse. Il y a eu aussi des coopératives où ils pouvaient prendre un petit bénéfice en plus mais qui était réparti entre eux, tous les coopérants. Mais globalement, le problème qui se pose c’est qu’il n’y a aucune indépendance alimentaire. Cuba, après 40 ans de lutte, continue d’importer 70% de ses produits, dans le contexte qu’on connaît. Dans le transport : à la Havane, les bus cela ne vaut rien. Cela coûte l’équivalent d’un centime pour prendre le bus. Mais le service est nul, on met deux heures à traverser la ville…Et il y a un service de taxis qui s’est développé à côté et montre une nette supériorité, mais au lieu de payer un centime, on paye l’équivalent de 5 euros. Qu’est-ce qui motive quelqu’un à aller travailler dans la santé ? il y a quand même une certaine responsabilité sociale…ou dans l’éducation ? mais quand on doit aller ramasser des patates c’est autre chose. Et de la même manière quand il faut conduire un bus, obtenir tous les équipements nécessaires à faire fonctionner un système de transport c’est aussi une question…en termes de motivation personnelle. Cela pose plusieurs questions dont celle de la coercition : comment on amène les gens à avoir envie que ça marche…
BF  : Là vous apportez sur la table des choses que je ne connais pas bien et je vous en remercie. Quand je parle d’étendre la gratuité aux transports de proximité c’est parce que de fait ce sont des choses qui se mettent en place et cela a l’air de marcher. C’est pour cela que j’en parle. On traverse la Belgique en train pour 7 euros. C’est quand même un territoire assez important, il y a un forfait...ce n’est pas la gratuité mais presque. Un certain nombre de municipalités comme Aubagne par exemple ont mis en place des services gratuits de bus qui manifestement fonctionnent très bien. Gratuité d’accès ne veut pas dire gratuité de production. Cela suppose évidemment une fiscalité qui rend possible la production de ce bien.
Romain  : Je voulais rajouter que les Cubains sont propriétaires de leur maison, quasiment tous. Mais au bout de 40 ans, l’état de délabrement des habitations est énorme. Le fait est que la location marchande avec tous les problèmes que cela pose (comme le prix des loyers à Paris) permet un entretien. Comment on gère l’entretien dans un système de propriété d’usage ?
BF  : Excellente question que nous nous sommes posée à Réseau Salariat : il y a un groupe qui réfléchit sur la sécurité sociale du logement. Sans doute pas la gratuité du logement parce qu à la différence de la santé qui est un bien relativement homogène, le logement connaît une hétérogénéité énorme, entre le fait d’être dans une espèce de château au bord de la côte ou dans un immeuble dans une cuvette insalubre. Et on ne voit pas sur quel critère se ferait l’attribution de logements gratuits. En revanche, il peut y avoir, à condition qu’il n’y ait pas de propriété lucrative mais seulement de la propriété d’usage, une dotation mettons de 100 000 euros par personne moyennant le versement par les entreprises d’une cotisation attribuée à la sécurité sociale du logement, dotation complétée par une dotation régulière pour l’entretien. Cela suppose une production du logement qui soit socialisée de même que la production de santé est socialisée. La question du délabrement d’un dispositif de propriété d’usage doit être assumée et peut l’être par le fait que tout le monde, par exemple tous les 3 ou 5 ans, ait une dotation pour l’entretien de son logement.
Romain  : Quand je cite Cuba, je prends toujours des pincettes du fait de ce blocus. On ne peut pas juger un système social quand il est entouré notamment de l’ogre américain. En termes de télécommunications par exemple, la frustration qui est celle des jeunes cubains, on ne peut pas la reprocher seulement au régime. Le fait est que si on met un câble à Cuba, on ne peut pas passer par les Etats-Unis, il n’y a aucune communication possible, sauf par le Venezuela. C’est pour cela que cette situation est à part. Mais imaginons que la contestation sociale prend le pouvoir en France, quid des autres pays européens qui l’entourent ? La France ne va pas pouvoir fonctionner toute seule, c’est utopique de croire ça.
BF  : Nous avons déjà des dispositifs qui reposent sur le salaire socialisé massivement dans toute l’Europe qu’on appelle bismarckienne : l’Allemagne, la Belgique, l’Italie, l’Autriche pour prendre les pays initiaux de l’affaire. Donc nous ne sommes pas seuls dans cette invention de la socialisation du salaire pour produire de la santé par exemple. Mais on ne produit pas que de la santé, on produit de l’éducation des enfants avec les allocations familiales, il y a aussi ce que produisent tous les retraités, les chômeurs. Il faut sortir du syndrome d’Astérix, nous ne sommes pas le dernier village gaulois dans une Europe qui serait totalement étrangère à nous. Au contraire, notre logique représente la majorité des pays européens. La question n’est pas qu’on soit tout seuls c’est qu’il y ait une dynamique identique dans les différents pays. Encore une fois j’ai un petit peu douché ceux qui attendent le grand soir ; nous sommes engagés dans des logiques séculaires. Nous ne pourrons constituer une majorité décidée et en capacité de l’emporter sur la socialisation du salaire que si nous avons fait auparavant d’énormes progrès en solidarité internationale. Je prends l’exemple des Belges qui en ce moment se battent pour que le chômage reste à durée indéfinie comme il l’est actuellement en Belgique. Evidemment l’Union européenne est vent debout contre ce scandale. Les gouvernements ont mis à durée déterminée l’indemnisation de ceux qui arrivent comme primo demandeurs d’emploi sur le marché : pour eux le chômage n’est plus à durée indéterminée. Si nous ignorons la bagarre actuelle des chômeurs belges, comment voulez-vous que chez nous nous avancions dans l’idée que le chômage peut être à durée indéterminée, comme pas vers le salaire à vie. On n’y arrivera pas. Nous n’arriverons à construire une majorité sur la généralisation de la cotisation salaire que si nous avons eu une solidarité internationale.
Romain  : je me référais à un point : les retraites par capitalisation contre les retraites par répartition. C’est un point important car quand les retraites sont par capitalisation, soit on fait une rupture dans le mode de versement des pensions, soit il n’y a pas de synchronisation possible entre les modèles européens.
BF  : Là, je vais peut-être vous surprendre : je n’ai pas la statistique sur l’ex Europe de l’Est, mais dans toute l’Europe de l’ouest, la répartition représente 90% des pensions. Chez nous c’est un peu au-dessus de la moyenne, mais pas beaucoup. En France, les sommes affectées aux retraites, c’est 97% de répartition et 3% capitalisation. En Allemagne c’est peut-être 92/8 et dans toute l’Europe occidentale, c’est 90/10. Le seul pays de l’Europe occidentale dans lequel la capitalisation représente la moitié des pensions, mais pas plus que la moitié, c’est la Suisse. Faisons donc extrêmement attention : la question n’est pas de défendre la répartition contre la capitalisation, c’est un faux problème. La répartition n’est pas du tout anticapitaliste en soi. Si vous prenez l’AGIRC ARRCO, ou la partie complémentaire de la CARMF : chacun a un compte qui comptabilise toutes ses cotisations de carrière, et qui est liquidé en rente viagère au moment de l’entrée en retraite. Il n’y a pas d’épargne, ce sont des comptes notionnels comme on dit. Aucune classe dirigeante dans le monde n’est en effet assez folle pour fonder la pension sur la capitalisation, cela ne marche pas. Parce que la somme qu’on va toucher en pension va dépendre exclusivement de la valeur des titres des fonds de pensions le jour où on prend sa pension. C’est la loterie permanente. Donc aucune classe dirigeante n’a comme projet la capitalisation : une certaine forme de répartition est cohérente avec la production capitaliste. Comptabiliser dans un compte notionnel toutes les cotisations de la carrière nous dit ceci : je ne produis de la valeur que quand j’ai un emploi donc quand je me soumets au marché du travail, quand je produis de la valeur pour un actionnaire, mais je ne consomme pas tout, j’en affecte une partie à la solidarité intergénérationnelle, c’est-à-dire qu’une partie de mon salaire va aller à la pension des retraités actuels, car nous sommes en répartition. Donc je suis solidaire des retraités qui sont des braves gens mais qui ne sont pas productifs, pas de chance pour eux, il faut que ce soit moi qui produise la valeur correspondant à leur pension, sans contrepartie. Il y aura une contrepartie, mais plus tard : quand je serai moi-même hors emploi donc non productif, je bénéficierai de la solidarité des actifs à la mesure de ma contribution (on retrouve le « revenu contributif » de Stiegler) quand j’étais actif. « J’ai cotisé, j’ai droit » : je viens de vous donner l’idéal CFDT de nos pensions par répartition, celui de nos adversaires, le MEDEF évidemment, les partis de droite et d’extrême droite, le PS, les Verts, bref tous ceux qui organisent et soutiennent la réforme des retraites… Mais aussi, hélas, de leurs opposants, qui échouent précisément parce qu’ils partagent avec nos adversaires le récit capitaliste de la solidarité intergénérationnelle.
Qu’ont créé les communistes en 1945 ? Pas du tout ça, pas « j’ai cotisé j’ai droit », pas du tout la solidarité intergénérationnelle. Avec la solidarité intergénérationnelle, nous sommes dans la pratique capitaliste du travail et de la valeur : je ne produis de la valeur que lorsque je me soumets à un employeur, en dehors de cela je dépense. Les fonctionnaires de la fonction publique hospitalière dépensent, ils ne produisent pas. Les retraités dépensent, ils ne produisent pas. Les chômeurs dépensent, ils ne produisent pas. Etc. C’est la pratique et la définition capitalistes de la production : on ne produit que si on met en valeur du capital, le reste du temps on ne produit pas, on est utile. On aura des tas de discours sur l’utilité sociale des retraités, des soignants, on va les caresser dans le sens du poil. Mais on nie qu’ils soient productifs. Et cela se fait en répartition. La répartition est une technologie qui en soi est neutre, elle n’est pas en soi anticapitaliste, elle peut être parfaitement capitaliste.
Contre cela, qu’institue le régime général de 1945 ? A un âge politique, 60 ans (ou 55 ans lorsque l’ordonnance de 1982 a rendu possible la retraite à 60 ans sans décote pour ceux qui avaient une carrière complète) j’ai droit au maintien à vie de mon meilleur salaire. C’est-à-dire que le Parti Communiste s’est inspiré de la fonction publique. Dans la fonction publique d’Etat il n’y a pas de cotisation, il n’y a pas de caisse, pas de « j’ai cotisé j’ai droit », il n’y a rien de tout cela. Il y a un droit politique au salaire lié à la personne parce que c’est le grade qui est payé. Et donc, jusqu’à la mort mon salaire est continué. C’est ce modèle-là que les communistes mettent en place avec le régime général. Et qui va être combattu à mort par le patronat, le parti socialiste, le MRP, la droite, la CFTC, FO… Prolonger ce combat-là, c’est nous battre pour la retraite à 55 ans (c’est déjà bien tard à mon avis) à 100% du meilleur salaire, le salaire des six meilleurs mois comme dans la fonction publique, quelle que soit la durée de cotisation (cela c’est une revendication qui n’a pas été posée par la CGT et qu’il importe de populariser). Si on se bat pour la retraite à 55 ans avec à vie le meilleur salaire quelle que soit la durée de cotisation, on pose clairement que la contrepartie en valeur de la pension, c’est le travail actuel des retraités. Et qu’il n’y a aucune raison de comptabiliser leur travail passé pour un prétendu revenu différé en fonction de leur contribution passée, dans une logique de revenu contributif à la Stiegler, ou de compte personnel d’activité. Le salaire comme droit politique s’exprime donc déjà dans la répartition mais il s’agit ici de la répartition anticapitaliste dès lors qu’elle finance un droit au salaire sans contrepartie en cotisations préalables. Et si vous dites que la retraite c’est un droit au salaire sans contrepartie en cotisations préalables, parce qu’il reconnaît la contribution actuelle des retraités à la production non capitaliste de valeur, vous allez pouvoir être audibles auprès des jeunes, qui eux n’ont jamais cotisé, vous allez leur dire « Vous avez droit au salaire à vie, dès maintenant. Votre droit au salaire n’est pas lié à une contribution passée ou future, votre droit au salaire est un droit politique qui postule que vous produisez de la valeur. »
Quentin, 25 ans, travaille dans une boite d’experts en assurances  : Nous autres, en tant que classe révolutionnaire, en tant que sujets politiques, qu’est-ce qu’on attend ? j’ai l’impression que même si cette classe révolutionnaire s’est déjà constituée par le passé, et a commencé à amorcer toutes les avancées dont on parle depuis tout à l’heure, j’ai l’impression qu’il y a quand même un constat d’échec qui persiste aujourd’hui et que l’on prend la pente inverse à nouveau depuis 25 ou 30 ans. Je pense que faire de l’éducation populaire c’est super bien mais cela n’a qu’un faible impact par rapport à cette société du spectacle qui est face à nous. Et qu’est-ce qu’on fait ?
Pauline, 27 ans  : Je suis bien évidemment d’accord qu’il faudrait globalement que les salariés à vie de l’hôpital public lèvent la tête, soient fiers et cessent de se plaindre. Mais pour arriver à cette preuve par l’exemple, dont on est très loin aujourd’hui, comment vous envisagez d’agir concrètement et de faire ce chemin qui ferait que les gens soient fiers et que l’on puisse dire que les salariés à vie de l’hôpital public sont un bon exemple de salaire à vie et cessent d’être pessimistes. Parce que globalement aujourd’hui tout le monde est pessimiste et se plaint plus que n’est fier de son utilité.
BF  : C’est pour cela que j’insiste sur la responsabilité des fonctionnaires et des libéraux de santé. Lorsque l’on a un statut qui nous libère du capital (pas complètement à cause de Sanofi, à cause de la Générale de santé…) on a une responsabilité de dire : « C’est nous qui décidons », on a une responsabilité de délégitimer la DRH, délégitimer en permanence les formulaires qu’il faut remplir qui remplacent la clinique par des protocoles, il faut délégitimer en permanence la direction aux ordres de l’Agence régionale de santé. En permanence, car ces gens-là n’ont aucune légitimité. C’est fondamental. Nous devons passer à l’élection des hiérarchies. Il faut des hiérarchies qui assurent le fonctionnement du travail collectif, penser qu’on peut s’en passer est aberrant, mais elles peuvent être électives, tournantes etc. Quand on fait des tracts, il faut s’adresser non pas à des usagers en leur disant « le service public est en danger », mais à des travailleurs en leur disant : « vous avez comme nous droit au salaire à vie ». Il faut engager la bataille pour la généralisation du salaire à vie et non porter en berne le statut de fonctionnaire. Il y a beaucoup de bénéfices secondaires à la plainte, il faut arrêter la délectation morose dans laquelle nous sommes.
AA  : Je pense que vous êtes porteur de solutions, contrairement à d’autres qui sont porteurs uniquement de dénonciation et qui contribuent à cette morosité ambiante. Mais, à un moment donné quand on y croit, à ces solutions, et qu’on voit qu’il y a très peu d’actions impactantes, cela nous rend morose aussi. Qu’est-ce qu’on fait ?
BF  : S’il y a très peu d’actions impactantes, elles pourraient l’être à certaines conditions. Vous avez des milliers d’initiatives alternatives aujourd’hui dont sont porteurs les jeunes. Si au lieu d’être dans l’idée « Vous allez voir on va s’en tirer, je veux récupérer tout mon travail et ne vivre que du produit de mon travail », si au lieu de cet idéal aberrant (on ne peut jamais vivre du produit de son travail), on acceptait la nécessité de socialiser. Que la valeur ajoutée de toutes ces entreprises se socialise dans des caisses. On n’arrivera pas au niveau du tiers de la masse salariale qu’ont obtenu les communistes en 1946 mais cela aurait déjà un sacré impact si tous les lieux alternatifs, au lieu de chercher à se payer sur leur chiffre d’affaires décidaient de mettre en commun leur valeur ajoutée dans une cotisation salariale qui permette de faire une péréquation avec les boîtes à faible productivité et les boîtes à forte productivité ou dont le marché est porteur. C’est ce que fait la Sécu, c’est pour cela qu’il y a un taux unique. C’est fondamental le taux unique. Pour faire une péréquation des rentabilités différentes. Si s’ajoutent à cela tous les retraités, les gens comme moi : plutôt que de faire du non marchand comme je fais ce soir, si je me faisais payer pour faire cela dans une coopérative qui fait de l’éducation populaire payante, je ne me ferais pas payer moi puisque je le suis par la caisse de Sécurité sociale, du coup ma coopérative n’aurait pas à me payer, et c’est autant qui pourrait aller dans une cotisation. Nous sommes 15 millions de retraités dont la moitié au moins sont des gens qui ont un salaire à peu près suffisant pour vivre et qui ont une expérience professionnelle, qui ne sont pas décidés à passer leur vie au musée Picasso, et qui ne veulent pas non plus être dans cet espèce de bénévolat où on leur dit qu’ils sont bien gentils mais bon…des retraités donc qui veulent exprimer leur participation au bien commun à la hauteur de leur qualification. Ils ont un salaire à vie pour faire cela. S’ils mettaient leurs qualifications à la disposition de toutes les initiatives alternatives à la production capitaliste, vous imaginez la dynamique à laquelle ils vont s’associer ?
Arnaud, chômeur  : Je reviens un peu sur la même question : se battre, se battre…oui. Vous par exemple, vous avez souvent un auditoire comme ici qui est déjà réceptif au discours…
BF  : Non pas totalement. Vous savez c’est un combat considérable que de sortir de la religion capitaliste, nous l’avons jusque dans les pores…
Arnaud  : Laissez-moi vous expliquer. Les seuls métiers que j’ai exercés c’était de la manutention, j’étais au contact avec des gens qui avaient les salaires les plus bas, au SMIC etc. J’essayais de discuter avec eux, de leur dire ce que je crois etc. J’étais tout de suite un fou sectaire. Voire on m’insultait, j’étais dangereux, nocif. J’ai fini en dépression. Maintenant ça va mieux, je suis au chômage…Mais j’aimerais faire avancer les choses. Je ne crois pas au grand soir, j’aimerais juste apporter quelques bribes mais c’est quand même difficile.
BF  : Vous avez raison, je m’adresse à un échantillon biaisé de gens qui ne sont pas forcément d’accord mais qui sont prêts à entendre. Alors que ce que vous dites là est une expérience quotidienne, de gens qui disent « J’en ai chié, qu’ils en chient ! » etc. Ou qui ne croient pas possible d’être sans patron. Il y a une intériorisation de la domination qui est énorme, je suis d’accord. Raison de plus pour que ceux qui ne sont pas sur ce trip-là s’organisent. Les communistes étaient organisés, ce n’était pas le joyeux foutoir des collectifs, c’était une organisation. Avec toutes les tares d’une organisation stalinienne mais une organisation, avec une capacité précisément à porter des propositions qui aient un écho national. C’est ce qu’il faut que nous construisions.
Véronique, comptable dans le privé : Je veux rebondir sur ce que vous étiez en train de dire quand vous parliez d’organisation, je me disais que peut-être des outils pédagogiques pourraient être intéressants à transmettre à tous ceux qui ont envie de parler. Des outils pédagogiques de formation qui expliqueraient, parce que pour nous qui ne maitrisons pas le sujet, c’est pas toujours évident de l’expliquer à l’autre, alors que peut-être s’il y a des films, des schémas, qui passent en 3 minutes, 5 minutes…cela peut aider et cela peut faire un déclic.
BF  : Bienvenue à réseau salariat ! Il faut construire des outils pédagogiques, utiliser le net, car c’est un mode de socialisation politique de la jeunesse, incontestable. La remarquable vidéo d’ Usul sur le salaire à vie a un écho considérable.
Olivier, médecin hospitalier : Vous avez bien expliqué que les cotisations étaient proportionnelles, est-ce que ce ne serait pas plus juste que les cotisations des salariés soient progressives ?
BF  : Je suis pour supprimer tout impôt et toute cotisation à la personne. Parce que ce n’est pas ça la citoyenneté, sinon Madame Bettancourt est plus citoyenne que moi puisqu’elle paye plus d’impôts tandis qu’on suspecte celui qui ne paye que la TVA d’être un assisté. L’impôt sur le revenu a été un élément décisif dans la construction des démocraties. Je crois qu’aujourd’hui c’est un obstacle. Si c’est par ma contribution par mes revenus à la dépense publique que j’exprime ma contribution au bien commun, nous sommes dans la pratique capitaliste du travail et de la production de valeur. Nous avons vu qu’au contraire la santé ne relève pas (à l’exception du médicament hélas) de la dépense publique, mais d’une production alternative à la production capitaliste. Il s’agit de fonder la citoyenneté sur le fait que je participe à la production, non pas sur le fait que j’ai des revenus dont je vais donner une partie à des improductifs utiles tout en alimentant la lecture capitaliste du réel. Je ne suis pas citoyen parce que j’ai des ressources dont une partie va à la solidarité à la mode capitaliste, « j’ai et tu n’as pas alors je suis solidaire de toi » La citoyenneté anticapitaliste que nous devons construire et que nous avons commencé à construire, c’est celle qui nous pose comme solidaires parce que coresponsables de la production. Non pas solidaire parce que tu n’as pas d’emploi, il te manque quelque chose et moi qui ai je verse une cotisation ou un impôt, je suis solidaire : cette solidarité, il faut que nous apprenions à nous en défaire pour la remplacer par une toute autre solidarité : je suis solidaire de toi parce que nous sommes coresponsables de la production de valeur. Et cette coresponsabilité de la production de valeur s’exprime dans la copropriété, dans la pratique de la codécision, dans le fait que l’on affecte la valeur ajoutée à des cotisations, qu’on socialise toute la valeur. Là nous entrons dans une toute autre citoyenneté. Je ne suis pas citoyen parce que je paye des impôts, je suis citoyen parce que je suis coresponsable de la production de valeur. Et c’est très urgent d’en arriver à ça. Parce que nous avons un épuisement de la citoyenneté quand elle est réduite au droit de suffrage : à quoi bon voter puisqu’on a une espèce de concours quinquennal de beauté entre le même et le même ? Il s’agit que la citoyenneté s’enrichisse et change de lieu, et que nous nous battions pour le salaire comme droit politique, pour que les entreprises mutualisent leur valeur ajoutée, ce qui rendra inutiles l’impôt et la cotisation payés par les individus.
Olivier  : Je suis un peu inquiet pour mon salaire de médecin public. D’où viendra mon salaire ? Pour le moment, dans le concret, il vient des cotisations sociales.
BF  : C’est ce dont je parle : tous les salaires doivent venir d’une cotisation payée par les entreprises sur leur valeur ajoutée. Celle qui vous paye comme médecin, elle n’est pas alimentée par votre cotisation puisque celle-ci est financée… par la cotisation qui va à la caisse d’assurance-maladie. C’est une fiction, la cotisation que vous payez. Vous payez une cotisation qui est financée par la cotisation. Un fonctionnaire paye l’impôt qui est financé par l’impôt, c’est une fiction absolue. Arrêtons de dire que comme médecin vous payez des cotisations, vous ne payez rien du tout. C’est cette nouveauté-là qui est passionnante et qui doit devenir le fait de tout le monde. Il faut arrêter de lire avec les yeux du capital les innovations que nous avons faites qui sont considérables : nous devons percevoir un salaire net de tout impôt (y compris sur la consommation) et de toute cotisation, la valeur ajoutée des entreprises étant affectée à une cotisation salaire pour le paiement des salaires à vie et à une cotisation économique pour la subvention des investissements et pour les frais de fonctionnement courant des services publics gratuits.
Jérôme, médecin et rédacteur : Je voulais pousser un peu ton modèle, dans le domaine de la santé, en le comparant à celui des Anglais. Pas celui des Anglais juste maintenant mais celui des Anglais des années de 1945 à 1970 ou 1980. En quoi le système se différencie-t-il parce que les médecins généralistes y sont payés à leur qualification par un salaire, il y a un service public qui est organisé avec le National Health Service qui n’est pas si mal que ça, qui aboutit à une santé publique qui est plutôt meilleure qu’en France, une résistance face à l’industrie pharmaceutique, bien qu’elle soit aussi présente, qui est plutôt plus grande parce que les marchés sont régionalisés. Et donc finalement n’est-ce pas le modèle que tu défends ou comment il s’en distingue ?
BF  : Je suis entièrement d’accord avec toi et merci de faire cette distinction. Vous avez ce magnifique film documentaire de Ken Loach « L’esprit de 45 » qui a été l’objet d’une soigneuse censure médiatique et qui montre comment Bevan, contre le reste de ses collègues du Labour alors au pouvoir en Angleterre, a mis en place non seulement le National Health Service mais également un habitat social très en avance sur le nôtre. Ce film montre toute la dynamique qui a construit le National Health Service Je suis d’accord que globalement ce qui se construit à l’époque s’apparente à ce que je préconise. Ensuite, comme tu le dis très justement, cela a beaucoup bougé depuis 40 ans. Le mouvement populaire anglais est dans la même situation que le nôtre : nous n’assumons plus les institutions révolutionnaires que nous avons mises en place. Même si les Anglais sont extrêmement attachés au NHS, ce qui montre combien un moment révolutionnaire, même bref et dès le départ très combattu, et à terme mal porté par ses promoteurs, peut créer une institution durable.
Jérôme  : Et donc les médecins libéraux français ne ressemblent pas beaucoup aux médecins salariés anglais.
BF  : Qui sont par ailleurs en moyenne mieux payés qu’eux…
J  : Oui, tout à fait. Mais ta remarque tout à l’heure sur les libéraux disant que finalement c’était un très beau système qu’il fallait mettre en valeur, elle ne tient pas tout à fait ?
BF  : Oui et non. J’ai récusé d’emblée le secteur 2, et ai dit par ailleurs que l’exercice libéral doit bouger dans deux sens : suppression du paiement à l’acte pour achever le mouvement vers la gratuité d’accès au service du soignant, et surtout remplacement du paiement du soignant par le nombre d’actes (ou de patients, ou selon la pathologie des patients, tout cela ne sont que des variantes assez accessoires) par un paiement à la qualification. Mais j’ai insisté sur le grand intérêt de ce modèle qui institue un mode salarial d’exercice indépendant. Etre salarié, c’est-à-dire être titulaire d’un salaire à vie lié à une qualification personnelle, est tout à fait compatible avec un statut professionnel d’indépendant. Et ta remarque me pousse à compléter ce que j’ai dit : dans le modèle du salaire à vie, on peut être indépendant pour produire aussi bien des biens et services à prix que des biens et services gratuits. Nombre de travailleurs indépendants, payés par un salaire à la qualification, vont continuer à produire des biens à prix : il est important que le marché régule l’activité dans la plupart des secteurs. Mais dans les secteurs que nous décidons mieux assumés de manière non marchande, comme la santé, nous faisons la preuve que des biens et services d’accès gratuit peuvent être produits, eux aussi, par des travailleurs indépendants : la gratuité n’implique pas nécessairement la fonction publique. Je pense qu’on peut se trouver d’accord.
J  : Juste pour pousser parce que tu rentres là-dedans. Tu sais bien le problème de la santé, on peut faire des tas d’innovations, même au niveau social. Mais parfois ceux qui payent le coût des innovations, médicamenteuses, techniques etc, ce sont les patients. Ce n’est pas ceux qui prennent la décision qui payent le coût. Notamment en termes de régression des soins. Attention dans un nouveau modèle à bien prendre en compte la qualité des soins. Parce que si le nouveau modèle est intéressant en soi, mais qu’il produit des soins de plus piètre qualité je ne suis pas sûr que ce soit un progrès.
BF  : Je ne connais pas assez la qualité des soins du NHS au lendemain de la guerre, quand il fonctionnait sur un mode intéressant. Du point de vue épidémiologique on a quand même des éléments : l’espérance de vie par exemple augmente à beaucoup moindre coût que dans un dispositif même à la française, qui est à 12% du PIB contre 9% au Royaume Uni avec une espérance de vie qui n’est pas plus faible. Mais beaucoup de travaux montrent que l’espérance de vie ne dépend pas plus de la médecine que d’autres choses. Je ne suis pas assez compétent pour parler de cela. En tout cas, pour faire écho à ce que tu viens de dire, la copropriété d’usage de l’outil de travail doit concerner non seulement les professionnels mais aussi les usagers. Dans « Emanciper le travail », mon dernier ouvrage d’entretiens avec Patrick Zech, il y a des éléments de réflexion sur la décision en situation de copropriété d’usage.


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