Le temps psychique - Cordel N°67

Les temps simultanés ou les horloges de l’inconscient
mardi 10 mars 2020
par  Elisabeth Arrighi, Rochelle Moricet-Monnier
popularité : 5%

Les temps simultanés ou les horloges de l’Inconscient

La psychanalyse et les poètes nous l’ont dit. A l’intérieur de chacun, l’enfant qu’on a été est toujours là. Ainsi, on peut dire qu’il existe des temps simultanés pour l’Inconscient. Comme si, dans nos émotions, nos sensations, nos ressentis, les horloges de nos différents âges sonnaient en même temps. Avec trois temporalités, comme le dit le psychanalyste Michel Fruitet :
- le temps actuel avec ses joies et ses difficultés,
- le temps « œdipien », celui des rivalités du jeune enfant qui veut accaparer un parent et écarter l’autre,
- le temps archaïque, préverbal, du bébé qui est dans la dépendance absolue de sa mère, plus ou moins disponible, et elle-même plus ou moins prise dans sa propre histoire.
S’y ajoute le temps transgénérationnel où l’on est traversé par l’impact des traumatismes et des secrets de nos grands-parents et ancêtres.
Avec, en plus, tous les souvenirs joyeux ou douloureux des évènements singuliers qui nous ont marqué.es. Nous avons tous et toutes une boutique d’horloger à l’intérieur de nous. C’est un processus psychique normal.

Le temps gelé du trauma

En cas de trauma - traumatisme avec un impact psychique grave - , le sujet voit la mort en face, et se retrouve seul sans personne qui atteste de la gravité de l’évènement. Il peut même avoir été trahi par la personne dont il aurait attendu le soutien, soutien non apporté, d’autant plus, si, ayant raconté les faits, sa parole a été niée. Le sujet entre alors dans « le temps traumatique », là où, « le temps s’arrête, avance, recule, est incohérent, gelé » comme le décrit Françoise Davoine...
Comme si l’évènement traumatique était toujours là, avec la terreur d’une agression, d’un viol, d’une humiliation, d’une explosion ou d’autres choses plus terribles encore.
Dans le temps traumatique, les sensations, les émotions tournent en boucle, toujours présentes sans qu’on sache toujours à quoi les rattacher, notamment du fait des phénomènes d’amnésie ou de clivage.

Les questions qui ouvrent :
« Qui fait quoi à qui ? » et « Dans quelle(s) époque(s), sommes-nous ? »

Pour aider une personne prise dans des tempêtes ou des paralysies qu’elle ne comprend pas, dans des répétitions qui la dépassent, il existe une question sésame : « Qui fait quoi à qui ? » proposée par Pierre Delaunay (voir le cordel n°52 « Les transferts, qui fait quoi à qui ? ») Cette question permet de comprendre quelle pièce de théâtre se rejoue, et les costumes de quels personnages on endosse, en sachant, que souvent, on joue à notre insu tous les personnages à la fois.
De même, pour ce qui est du temps psychique, la question « Dans quelle(s) époque(s) sommes-nous ? » permet d’ouvrir des champs de réflexion, de mettre en perspective des émotions qui nous dépassent. Le ou la psychothérapeute a besoin de se poser intérieurement cette question, en se mettant à l’écoute de ses propres sensations ou émotions. Alors, il ou elle peut élaborer, déjà pour lui/elle-même, des hypothèses. Qu’il/elle les partage explicitement ou non avec la personne en analyse, ce travail psychique de l’analyste pourra aider ensuite la personne à formuler elle-même les mots justes sur ce qui lui arrive, à se connecter avec des sensations et des émotions d’autrefois. 

Remettre en marche le temps

Quand le temps est arrêté, « gelé », le rôle du psychothérapeute est alors de remettre en marche ce temps. Différents moyens thérapeutiques ont été imaginés par les psychanalystes qui veulent bien s’atteler à cette tâche. Par exemple, Françoise Davoine propose, entre autres, deux moyens : « faire récit » et mobiliser « l’interférence ».
- Faire récit, c’est raconter soi-même des histoires puisées dans la grande Histoire, dans les contes ou autres histoires... pour aider la personne à élaborer, elle aussi, son propre récit, même s’il est incomplet avec des trous, des oublis.
- Mobiliser l’interférence à travers le transfert, en prenant appui sur son « propre fonds ». Françoise Davoine fait le pari qu’alors ensemble, analyste et analysant peuvent « construire des ponts par-dessus les abysses du temps ».
D’autres, comme Gisela Pankow, insistent sur le lien entre l’espace et le temps. Elle propose des séances où en plus de la parole, la pâte à modeler devient un outil , où la personne peut travailler sur l’image de son propre corps, remettre en forme l’espace, et par là même faire repartir le temps.
D’autres utilisent les images, les sensations…

Le temps de l’immédiateté, de l’instant présent, de la bonne surprise

Thomas Salmon, qui soignait sur le front les soldats traumatisés de la guerre de 1914-18, a identifié quatre principes pour leur venir en aide : simplicité, proximité, immédiateté et capacité d’espoir. Pour aider une personne traumatisée par des évènements anciens, il peut être précieux d’être réactif aujourd’hui s’il lui arrive un problème, l’engagement présent aidant à réparer la solitude du trauma ancien.
Quand on arrive à sortir du temps gelé du trauma, alors, le futur s’ouvre, et peuvent survenir le changement, l’imprévisible. Et dans l’instant présent, dans l’ici et le maintenant, on peut devenir attentif aux bonnes surprises, les accueillir, se les approprier pour avancer.

Lu dans Harlem Quartet de James Baldwin :

« Derrière le visage de quiconque nous avons aimé pour de bon -qui nous a aimé, nous aimerons toujours, l’amour n’est pas à la merci du temps et il ne connait pas la mort, ils sont étrangers l’un à l’autre-, derrière le visage de l’aimé, si vieux, si ruiné et marqué soit-il, se trouve le visage du bébé que fut autrefois votre amour et qu’il restera pour toujours. »

« …tenu comme un homme et bercé comme un enfant, libre »
(un homme parlant de son ressenti dans l’intimité érotique avec sa compagne)

« Joyeux Noel, dis-je en regardant ce visage qui n’était plus celui d’un enfant et pas encore celui d’un homme.
- Joyeux Noel toi-même » répliqua-t-il. Il sourit, me montrant un instant, comme s’il avait su que je voulais le voir, le visage du petit garçon. »
(dans un dialogue entre un père et son fils adolescent)

Le temps des possibles

Comment sortir de la répétition, de ces phénomènes décrits par Sigmund Freud où l’inconscient pousse à remettre en scène les scénarios d’autrefois, d’autant plus qu’ils sont traumatiques ? Comment faire repartir le temps arrêté, et ouvrir des possibles ?

A un patient qui évoquait la possibilité de « retrouver son vrai moi » et qui se demandait ce qu’il en ferait, la psychanalyste Piera Aulagnier dit : « je crois possible de lui faire entendre qu’une fois retrouvé, il nous apprendrait peut-être que le futur n’est jamais décidé à l’avance, que peut y trouver place l’imprévisible, le changement. »

De même, Gaetano Benedetti, en imaginant « la psychothérapie progressive » fait le pari que la personne peut prendre appui sur ses ressources propres et sur le lien avec le psychothérapeute. Ensemble, ils vont trouver des images, des symboles qui permettront de mettre en scène à la fois le trauma et la sortie de ce trauma. Par exemple, Myriam, une de ses patientes, lui raconte un rêve dans lequel elle se retrouve avec une petite fille et une femme de 50 ans dans une forteresse « maudite » où personne ne peut communiquer. La petite fille est assise au bord d’une paroi à pic. La fillette saute, se met à planer et atterrit sur le sol où il a des arbres et une route. Benedetti souligne les moments libérateurs de ce rêve, et la capacité de la patiente à s’échapper de la forteresse sinistre.

Le temps des glaciations, le temps gelé

Le psychanalyste Salomon Resnik évoque « le temps des glaciations » pour parler du monde de la folie, pendant que la psychanalyste Françoise Davoine, elle, parle du « temps gelé » du trauma. Ils se réfèrent tous deux à un épisode de François Rabelais qui raconte les aventures de Pantagruel et de ses amis, naviguant en pleine mer, entendant soudain des cris effrayants, se demandant ce que disent ces voix :
« le pilote fit cette réponse : ...Ici est le confins de la mer glaciale, sur laquelle fut au commencement de l’hiver dernier passé une grosse et félonne bataille…Lors gelèrent en l’air les paroles et les cris des hommes et des femmes, les bruits des armes, les chocs des armures, les hennissements des chevaux et tout autre effroi du combat. A cette heure, la rigueur de l’hiver est passée, …elles fondent et sont entendues.[…] Pantagruel jette sur le tillac (le pont du bateau) pleines mains de paroles gelées, [..],des mots d’azur, des mots dorés…. Lesquels après s’être un peu réchauffés en nos mains, fondèrent comme neige et nous les entendîmes réellement… »
Comme si Rabelais avait su dire, par la poésie de ses images, la nécessité d’une implication « à pleines mains », d’un engagement de l’autre, d’un vrai contact pour sortir des silences et sidérations des traumas anciens.

Cordel écrit par Elisabeth Maurel-Arrighi, psychanalyste, avec Rochelle Monnier Moricet , professeure de lettres en lien avec l’épisode 27 de la vidéo de la chaine Psychanalyse et marionnettes : « Le temps psychique » www.outilsdusoin.fr- Cordel 67 - Collectif Outils du soin Mars 2020
Le temps psychique - Cordel N°67


Commentaires

Navigation

Articles de la rubrique

Agenda

<<

2023

 

<<

Juin

 

Aujourd’hui

LuMaMeJeVeSaDi
2930311234
567891011
12131415161718
19202122232425
262728293012
Aucun évènement à venir les 48 prochains mois

Annonces

Pour les migrants !


Statistiques

Dernière mise à jour

jeudi 25 mai 2023

Publication

521 Articles
56 Albums photo
35 Brèves
Aucun site
34 Auteurs

Visites

68 aujourd’hui
286 hier
302984 depuis le début
10 visiteurs actuellement connectés