Construire son quartier comme une oeuvre d’art - Cordel N°72

mercredi 31 mars 2021
par  Outils du soin, Teresa Montiel
popularité : 6%

L’art ornemental urbain comme outil politique et comme soin.
Expériences de création collective, méthodologie et maîtrise d’œuvre et d’ouvrage, Teresa Montiel, artiste franco-chilienne.

Quand les habitants deviennent bâtisseurs des espaces publics et acteurs des lieux
L’expérience a été menée en milieux ruraux, dans les périphéries urbaines, dans des centres villes. En France : à La Rochelle, Aubervilliers, Athis-Mons ... L’idée de mettre en place des ateliers d’art ornemental est de permettre aux gens du lieu de devenir les concepteurs et bâtisseurs de leur environnement. Les habitant.es sont invité.es à participer à des ateliers pour fabriquer des éléments du décor urbain qui seront intégrés dans les espaces du projet. Les ateliers vont produire des empreintes de textures végétales, mosaïques sur gabarits, bas reliefs, sculptures, lettrages, nom, numéro de rues, ou encore, sur le terrain, des bancs, portiques, murets, kiosques, fontaines, sentiers, jardins aromatiques, gustatifs, plantation d’arbres fruitiers ... Tous ces éléments sont élaborés avec les normes en usage des Travaux Publics.

Partir de l’espace vécu : données des lieux, doléances et désidératas

Les plaintes et remarques des habitant.es sont recueillies telles quelles, sans filtre, et sont inscrites dans une cartographie du lieu. Cela donne un plan préliminaire, support pour élargir la réflexion. Puis on le croise avec le plan technique de la Ville avec les contraintes des réseaux de chauffage, téléphone, eau, électricité, luminaire, trottoirs, voiries ... et le contexte de la demande d’intervention, avec les budgets de la Ville, des financements locaux et de l’État.
Le recueil de la parole des gens sur leur espace public est comme celui du/de la médecin avec son ou sa patient.e, qui parle de ses douleurs localisées, sans les relier forcément à une globalité, se focalisant là où cela lui fait mal. De la même manière, les habitant.es vont parler du mauvais état des chemins piétons, du manque d’éclairage public, de l’absence d’entretien des espaces verts ... Généralement les espaces publics sont occupés par les enfants, les adolescents et les jeunes adultes qui ensemble, établissent leurs codes et lois d’usage. L’absence des adultes et des ancien.nes dans ces lieux est flagrante ! Pour les mobiliser et recueillir leur parole, rien de mieux que d’organiser des actions leur étant spécifiquement destinées à les surprendre, comme thés dansants avec chant-accordéon et thé à volonté, ou sardines grillées au pain beurré, et projections la nuit sur les murs, images ou films sur les fresques des luttes pour les droits civiques sur l’art communautaire aux USA...

Des avis différenciés et contradictoires
En croisant trois cartographies - celle faite à partir de la parole des habitant.es, de l’espace vécu, celle avec les données techniques du terrain, et celle des accords entre Ville, département, région, État - on obtient un schéma préliminaire du projet. Devant ce schéma, les habitant.es découvrent l’étendue du projet et la globalité de l’espace vécu par les gens. Les langues se délient, la réalité concrète est mise en perspective, on envisage un espace de vie, de liens et de parole.
L’expérience créative chez l’humain est innée. Elle s’exprime dans la petite enfance. Des poètes, peintres, danseur.ses, musicien.nes, magicien.nes, font preuve de leur talent. Par la suite, la créativité est refoulée sous le pragmatisme du savoir. Ici on fait appel à cette source vive de créativité portée par chaque individu, sans la barrière d’un quelconque savoir. La méthode développée, création collective d’art ornemental urbain, permet de faire appel aux compétences individuelles et aux qualités de savoir-faire. On met à disposition des outils, des matériaux de construction propres aux travaux dans l’espace public. On invite les individus à une sorte de navigation sur la cartographie du lieu, dans la recherche des signes immatériels où on relève les empreintes de l’intelligence collective. Cela devient un territoire culturel d’identités collectives.

Mise en mouvement de l’imaginaire, fierté, et soin

Différents ateliers sont mis en place pour tou.te.s le habitant.es, que ce soient les ancien.nes, les adultes, les jeunes, les enfants. Dans des ateliers, on prépare les réalisations des mosaïques : gabarits découpés et numérotés, bois, carrelages découpés, tesselles, plaquettes de terre cuite, pièces de verre teintées dans la masse, gammes naturelles, galets ... Cette activité créatrice permet de tapisser sols, bancs, tables, murs chromatiques, voies piétonnes ... Dans d’autres ateliers, on fabrique des structures de toutes les formes et de toutes les couleurs pour réaliser des bancs, une sculpture, une fontaine ... Il y a aussi un atelier sur le terrain, où l’on dessine sur le sol les lieux des implantations des œuvres.
Ainsi, en franchissant les étapes, cette puissance de création permet aux participant.es d’inscrire des symboles significatifs pour leurs espaces de vie. Quand les habitant.es entendent que les architectes, les artistes qui visitent ces lieux refusent de croire que ce sont eux et elles qui les ont réalisés, ils/elles sont ému.es de voir qu’ils/elles ont pu faire un travail de professionnel.les. Pendant que ces visiteurs et visiteuses prennent des photos comme modèles à copier pour réaliser la même chose ailleurs cette fois par des professionnel.les, sans habitant.es ...
Chacun.e est bouleversé.e de se voir inclus.e dans une œuvre grandiose de ces dimensions dans l’espace public et par les résultats de sa qualité esthétique. Cet imaginaire devient nourriture de l’âme, moteur de la mobilisation. Le sentiment de participer à une œuvre immense donne une fierté, une joie qui est comme un processus de soin, une thérapie de l’être.

Paroles d’habitants
- « Ce qui me rend heureux, c’est de donner de soi-même pour la satisfaction de tous, ce qu’on a fabriqué est utile au quartier et en plus c’est beau. »
- « Ce qui me plait, c’est de faire des projets pour le quartier et non des activités. »
- « Grâce à nous, ici, nos HLM, c’est devenu résidentiel... »
- « C’est rencontrer des gens qui me plait. Je ne veux pas aller au club des personnes âgées. J’aime discuter et travailler ici avec des plus jeunes. »
- « Ce qui me plait de voir, c’est de voir qu’avant, person-a, ne ne prenait plaisir à descendre. Maintenant, aux beaux jours, les enfants jouent, les mères bavardent, les vieux discutent sur les bancs ... »
- « C’est la vie d’ici, et cette vie, c’est nous qui l’avons faite ... »
- « Avant, on courait. C’est tout ! Maintenant ici, on s’invente des jeux ... »

Quelques réalisations collectives dans l’usage de l’espace public
Marcher, s’asseoir, jouer, se rencontrer, discuter, se reposer, pique-niquer, profiter du soleil, jardiner, arroser ...

Bâtisseurs des espaces publics
“Une transformation de société suppose la possession de l’espace, par l’intervention perpétuelle des intéressés, avec leurs multiples intérêts divers et même contradictoires. La capacité d’élaborer des contre-projets, de les discuter avec les autorités et d’obliger celles-ci à en tenir compte devient la mesure de la démocratie réelle.” Henri Leclerc dans la Production de l’Espace

Les gens à l’œuvre
« Je suis émue par l’attention que met chacun à son travail, dans une connexion avec soi-même, avec les autres, et au-delà de soi, dans une sorte de solennité. Comme un rêve où j’aurais réveillé chez chacun d’eux l’insouciance et l’enfance, où ils redeviennent poètes, magiciens, saltimbanques, chanteurs de bonnes nouvelles, dans une sorte de communion d’appartenance » Teresa Montiel

Reconnaissance tangible d’une intelligence collective par les résultats
Emergence tacite du droit à l’exercice politique de la citoyenneté

Cordel écrit par Teresa Montiel, artiste, pionnière dans des pratiques participatives d’art ornemental urbain Collectif Outils du soin, partage de savoirs en accès libre. Février 2021 www.outilsdusoin.fr Cordel N° 72

Cordel 72 - Construire son quartier comme une œuvre d’art

Commentaires

Logo de Dominique Farhi
lundi 5 avril 2021 à 08h47 - par  Dominique Farhi

Merci pour ce très beau témoignage - qui unit la beauté artistique et le beau comme soin social. Nous avons terriblement besoin de cet "inutilité" qu’est l’art, plus encore son appropriation par chacun.
Je suis un peu peinée du commentaire sur les architectes - c’est ma profession- car beaucoup d’entre nous cherchent à faire la place de la création collective et de l’appropriation dans leurs projets. Voir aussi le site "sur la place publique".

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