Je me fais du souci pour quelqu’un - N°Cordel 73

jeudi 20 mai 2021
par  Outils du soin
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Que faire quand on connaît quelqu’un qui ne va pas bien et qui ne manifeste pas le désir de se soigner ? Ou qu’on en entend parler par son entourage ou son voisinage ? Tout le monde peut être ce témoin impuissant - proche, aidant.e, collègue, enseignant.e … depuis la sphère familiale ou amicale, l’école, le travail ou la vie de quartier. Les soignant.es aussi peuvent se faire du souci pour des personnes qui ne viennent pas les voir.

Comment expliquer l’éloignement du soin ?

Ceux et celles qui se tiennent éloigné·es du soin peuvent avoir différentes raisons pour ne pas vouloir et/ou pouvoir chercher de l’aide. Souvent parce qu’ils ou elles ont déjà été déçu·es autrefois, pour des raisons sociales ou psychologiques
Le droit de toutes et tous à des soins de qualité est loin d’être respecté partout. Les lieux de soins ne sont pas toujours faciles d’accès selon l’endroit où l’on vit, à la campagne ou dans certains quartiers… L’absence de sécurité sociale, le prix élevé des mutuelles, le refus du tiers-payant ou les dépassements d’honoraires, le non-remboursement de certains soins sont des freins importants. D’autres difficultés peuvent être créées par le comportement, conscient ou non, des professionnel·les. En effet, des études montrent qu’ils ou elles offrent davantage de temps et de soins aux patient·es de leur milieu social.
Par ailleurs, il existe aussi des raisons psychologiques pour ne pas réussir à demander des soins. La « théorie de l’attachement » explique ces réticences à se soigner : ceux ou celles qui ont eu dans leur toute petite enfance l’expérience d’un « attachement sécure » savent qu’on peut demander de l’aide et en recevoir. Mais ceux ou celles qui ont eu un « attachement désorganisé » ou ont vécu des évènements traumatiques en viennent à craindre de se rapprocher de quelqu’un. Cela peut se manifester de différentes façons : le risque peut être que, plus on essaie de leur venir en aide, plus ils ou elles ont peur et s’éloignent. Ou encore, d’autres, à leur insu, adoptent un comportement qui peut être décourageant pour les soignant.es et leur font répéter le rejet qu’ils ou elles ont subi autrefois.

Repérer les ressources déjà présentes  
Le soin débute bien souvent avant que la personne ne se tourne vers une aide professionnelle. Elle a déjà mis en place des choses pour faire face à sa souffrance, certaines qui l’ont aidée et d’autres moins. Son entourage a pu tenter de l’accompagner à sa manière et avec ses propres outils. C’est important de repérer les personnes ressources qui accompagnent celui ou celle que l’on veut aider, pour pouvoir se mobiliser ensemble. En respectant les élans de guérisseur qui se trouvent en chacun·e de nous et au sein de chaque communauté.
Les personnes ont leurs inventions propres pour tenir au quotidien et se trouver des abris, des refuges, des liens : acheter le journal, aller au café ou à la salle de sport, voire se retrouver simplement chaque jour sur le même banc à regarder les passant·es s du quartier, inventer des rituels en imaginant que d’autres les partagent, autour de la méditation, d’activités spirituelles… Parfois, ce sont les initiatives de l’entourage qui seront les plus utiles : appels téléphoniques, visites, aide au ménage, partage d’activités de loisir, de promenades … Il est important de valoriser et de respecter ces actes, éventuellement complétés par des interventions de professionnel·les médicaux ou sociaux.

Y croire tout en prenant des précautions ...
...C’est-à-dire faire confiance dans les ressources de la personne et de son entourage, quelque soient ses difficultés sociales, médicales, psychiques : « Il va y avoir moyen de faire quelque chose... ». Ensuite penser que les personnes ont souvent de bonnes raisons pour ne pas voir qu’elles ont besoin de soin. Puis s’engager en prenant des précautions. Faire des propositions. Trouver une porte d’entrée. Commencer à aborder cette personne autour de « petites » choses qui vont lui rendre service, modestement, comme une pommade pour la peau avant de commencer à vouloir traiter une personne souffrant d’anorexie. Il est souvent difficile de tenir bon dans la durée et de ne pas se décourager. Il est important de reconnaître ses limites et de savoir demander de l’aide quand c’est possible. Sans se laisser paralyser par la peur de ne pas être légitime d’une part, ni par la conscience des risques, d’autre part : lorsqu’on accompagne une personne en détresse, on peut craindre d’être intrusif, d’exercer une autorité trop grande sur elle ou de participer à une sorte de contrôle social. Ces écueils peut-être inévitables demandent à essayer de se réajuster. Enfin, bien sûr, respecter aussi la personne dans son choix de ne pas se soigner ou de se soigner à sa façon.

Construire des liens autour et avec la personne
L’important est de tisser des liens autour de la personne, à l’image de ce qui se fait autour de la naissance ou dans l’accompagnement des addictions (alcool et autres produits…). Des équipes, des individus, professionnel.les ou non, inventent et proposent d’autres façons de faire pour aller au devant des personnes éloignées du soin, par exemple aller à domicile ou dans des lieux publics. On peut demander à la personne pour qui on se fait du souci s’il y a des gens autour d’elle qui sont inquiet.es pour elle. Cela peut permettre de commencer à parler. Lui demander de nous aider à comprendre où il/elle en est et ce qui se passe.
Chacun.e doit essayer de rester dans son rôle, tout en se mobilisant ensemble. En considérant que les entourages familiaux, éducatifs, les professionnel.les médico-sociaux peuvent se respecter et articuler leurs interventions.
On peut encourager les actions collectives qui existent dans la communauté (groupe d’ancien.nes buveur.ses, tissu associatif des foyers de travailleurs migrants…) qui peuvent être des aides précieuses.
Alors on fait le pari que ce mouvement vers la personne va pouvoir l’aider à se mettre elle-même aussi en mouvement.



« Si quelqu’un voulait bien s’occuper de moi, on verrait bien
que je n’ai besoin de personne ». Parole d’un jeune dans un
centre de réinsertion citée par Stanislas Tomkiewicz

« Je voulais que le cas de Théo Lubin soit évoqué lors de la prochaine cellule de vigilance. Frédéric m’a convaincue d’attendre encore un peu. Selon lui, je ne dispose pas d’éléments suffisants pour en faire la demande. Et puis l’évocation d’un cas laisse toujours des traces, cela pouvait nuire à Théo ou à sa famille par la suite, cela ne devait pas être pris à la légère. Avais-je l’air de prendre cela à la légère ?
Delphine de Vigan, Les Loyautés, Jean-Claude Lattès, 2018.

« Quelle idée m’a pris de vouloir porter secours ! Est-ce à moi de porter secours aux autres ! En ai-je le droit ? Mais qu’ils s’entre-dévorent donc les uns les autres tout vifs ; en quoi cela me touche-t-il ? »
Fiodor Dostoïevski, Crime et châtiment, 1867. 

« La petite fille est entrée en guerre contre elle-même,.[..] On commençait à s’inquiéter pour la petite, mais sans lui en toucher mot, à elle. Non à elle, on ne disait plus rien, comme à quelqu’un dont on a peur, dont on a honte ou dont on se désintéresse. Ils désertèrent tous. La petite fille restait seule avec sa guerre que l’on trouvait étrange.[..]
Un jour, une vieille dame courbée s’est levée dans l’autobus, quand elle a vu la fillette arriver. [La vieille dame] cédait sa place, souriant doucement, tristement : elle lui désignait son siège. La petite secoua la tête face à cette absurdité, mais la vieille dame insistait. Alors elle s’est assise sur ce strapontin d’autobus. »
Line Papin, Les Os des filles, Stock, 2019.

Qui demande quoi à qui ?

Une pédopsychiatre, spécialisée en périnatalité, Dominique Brengard, appelle le fait de se préoccuper de quelqu’un qui ne manifeste pas le désir de se soigner « la clinique de la non demande ». Cette formulation est très paradoxale. Pendant longtemps en France, trop souvent les psys attendaient que la personne fasse elle-même la demande pour lui répondre, ou les médecins attendaient que le patient ou la patiente sonne à la porte de leur cabinet. Cette situation a duré au détriment des soucis de santé de ces personnes.
Comme le psychanalyste, thérapeute familial, Robert Neuberger le formule, la demande peut être dispersée entre plusieurs personnes : la personne qui souffre le plus (par exemple la mère ou le père), la personne qui porte le symptôme (par exemple l’enfant), et la personne qui fait la demande (par exemple l’instituteur ou l’institutrice).
Dans ce genre de situation, il s’agit d’enclencher une aide en « ricochet », où quelqu’un aide quelqu’un qui va aider…, ou en réseau, où plusieurs personnes s’allient pour se venir en aide et pour aider quelqu’un .
Parfois, c’est en allant demander de l’aide pour soi que directement ou indirectement , ce pas de côté impulse un changement pour la personne pour laquelle on s’inquiète.

Les agents de santé communautaires au Brésil

Depuis 1994, face aux problèmes de pauvreté et d’épidémies (dengue, zika...) au Brésil, un système d’agent.es de santé publique et d’agent.es d’environnement a été mis en place dans les quartiers. Les agent.es de santé sont issu.es de la communauté et font le lien avec les soignant.es. Un groupe de 10 agent.es est affecté à environ 150 ménages qu’ils ou elles visitent chaque mois. Parfois pour prendre un rendez-vous avec un médecin, d’autres fois pour vérifier si les traitements sont bien supportés, ailleurs pour s’occuper de faire écouler les eaux stagnantes pour éviter les infections. Ils et elles identifient les signes avant-coureurs potentiels de nouveaux problèmes : violence, négligence, absentéisme ou consommation de drogues…Issu.es de la communauté dans laquelle il/elles travaillent, utilisant leur connaissance des problèmes locaux et des relations existantes, ils et elles fournissent un soutien médical et des conseils aux résident.es et sont en lien régulièrement avec les clinicien.nes. Les habitant.es leur sont reconnaissant.es car ils et elles voient des résultats sur leur santé, comme des réductions de mortalité infantile ou une meilleure détection des maladies tropicales négligées.
« Si l’on dit qu’il faut un village pour élever un enfant, alors les équipes de soins de santé au Brésil ont montré qu’il faut un villageois pour comprendre son contexte et ses besoins en matière de santé. »Emma Sisk apolitical.co/fr/

Illustration Hélène Maurel

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