Cordel 78 "Compter pour quelqu’un"

jeudi 15 septembre 2022
par  Outils du soin
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Savoir que l’on compte pour quelqu’un est quelque chose de légitime et précieux, De même, reconnaître que quelqu’un a compté ou compte pour nous peut nous donner de la force. Comment cela se joue-t-il dans la vie, (en famille, à l’école, dans les rencontres…) et aussi dans le soin ?

Un besoin qui dépasse les besoins physiques

Tout être humain a reçu, pour pouvoir vivre, une attention différente de la stricte satisfaction de ses besoins physiques. Il, elle a donc été porté.e par le désir de quelqu’un pour se maintenir en vie. Il, elle a donc compté pour quelqu’un, parfois trop peu, parfois beaucoup. Cette expérience psychique, si elle a pu être intériorisée, devient une base solide pour faire face aux épreuves de la vie, pour compter sur ses propres ressources et celles des autres.

Des moments qui ont compté, au gré de rencontres inattendues ou de relations durables

Parfois, face à des moments de vie où l’on se sent très seul, le surgissement d’une rencontre a été bénéfique pour nous redonner de l’élan. Dans bon nombre de cas, ces inflexions ont été générées par des rencontres dont on pourra dire après-coup : « Cette personne, cet instant a compté pour moi ». C’est dans ces moments d’ouverture que la vie peut reprendre. Ces moments peuvent s’inscrire dans des situations durables d’affection et de présence chaleureuse. Parfois, ce peut être une simple parole, un geste, une mimique de connivence qui vient trancher sur ce qui était prévisible. On connait, pour soi ou pour d’autres, ces figures de parrain-marraine, grands-parents, instituteurs, voisins, médecins, éducateurs, thérapeutes… qui - par leur engagement et persévérance - nous ont permis de pouvoir croire en nous. Elles deviennent des personnes qui ont compté pour nous.

Le besoin d’être vu et reconnu

Si quelqu’un a compté pour moi, est-ce que moi, j’ai compté pour cette personne ? Ce dont je peux être sûr.e c’est que cette personne qui a compté pour moi, m’a « vu.e ». Mon existence lui a importé et elle m’a prise en considération dans ma singularité. 

L’ouverture vers des mondes jusqu’alors inconnus 

Souvent, quand on pense à quelqu’un qui a compté pour nous, c’est que son intervention inattendue nous a soudainement ouvert la porte vers des mondes inconnus ou inaccessibles auparavant. Parfois, de minuscules expériences partagées comme des lectures recommandées, des chants entonnés à l’unisson, un repas pris en commun, une séance de bricolage etc., se sont révélées propices à donner la clef vers les mondes du savoir, de la fantaisie, de la joie de vivre, de la sociabilité, de la puissance d’agir. Parfois, pour ceux qui ont pu se trouver dans des situations de solitude, de détresse, de chaos, de peur des représailles, ces occasions de partage et d’implication ont permis de ressentir comme un droit à une pleine existence en lien avec soi et les autres. Où enfin des possibles s’ouvrent qui peuvent changer le cours d’une vie.

Et dans le soin ? 

Bien sûr, l’accueil, la disponibilité et l’écoute sont importants pour que la relation soit de qualité. Mais compter pour quelqu’un est un phénomène imprévisible, un peu magique, dont on ne peut prendre conscience qu’après-coup, une fois que l’autre vous l’ai dit … ou pas. Il ne sert à rien de chercher volontairement à compter pour un ou une patient.e, on risquerait alors de se retrouver dans une relation de séduction ou de toute puissance.
Pour autant, il ne faut pas avoir peur de l’engagement. Cela fait partie de la relation thérapeutique. Cet engagement est précieux lorsque cela se produit, d’autant plus quand le ou la patient.e, par son expérience familiale ou sociale, n’a pas eu l’habitude d’avoir des personnes pour qui il ou elle a compté.
Du côté du ou de la soignante, cela peut être déroutant, et sembler excessif, voire susciter la crainte de se faire déborder par un.e patient.e pour qui on compte beaucoup (trop ?). D’autant que cette situation n’est pas abordée dans la formation. Si cela complique la relation, il est toujours possible de demander de l’aide, auprès de collègues, ou de groupes de parole comme les groupes Balint *, ou encore de psychothérapeutes.
Oui, les patients peuvent compter pour les soignants, ils les transforment, les touchent, les mobilisent au travers des rencontres dans les aléas de la vie, des erreurs éventuelles, ou de l’admiration devant la façon dont les patients surmontent les épreuves. Ce façonnage mutuel est essentiel. Il fait progresser le soignant.
 
 
* Les groupes Balint, du nom de Michael Balint, psychiatre et psychanalyste britannique d’origine hongroise qui a proposé une formation de groupe pour aider ses collègues généralistes dans la relation médecin-malade. On discute de cas cliniques que l’on vient présenter à des collègues qui ne connaissent pas le ou la patient.e, en particulier sous l’angle de l’implication que l’on a dans la relation, et ce avec l’aide d’un leader de formation psychanalytique.

Citations

A cette époque, une jeune enseignante blanche, une femme magnifique qui a beaucoup compté pour moi, m’avait pris sous son aile. J’avais entre dix et onze ans. Elle avait mis en scène ma première pièce et entrepris de m’accompagner dans le monde. Elle me donnait des livres à lire, me parlait de littérature et des pays étrangers. Je ne comprenais pas la moitié de ce qu’elle disait, mais je m’en souvenais. Et cela m’a été très utiles par la suite.
James Baldwin dans Le Diable trouve à faire, Capricci, 2018

Silencieuse, sûrement que je rêvais assise au fond de la classe, en tout cas, c’est sûr, je n’étais pas présente. Alors cette maîtresse, quand elle m’a fait passer devant, bien en face de son bureau, je sais aujourd’hui l’importance de cet instant et combien il a compté pour moi.
Sylvie
 
Je pars à la retraite. Je l’annonce à tous les patients et patientes en consultation. Arrive S. que je connais depuis son enfance et que j’ai suivie au cours des péripéties de sa jeune vie d’adulte. Elle a été enceinte à seize ans et sa fille a eu une adolescence plutôt agitée. J’ai pour elle une tendresse particulière, bien que je ne la voie plus très souvent les derniers temps. Quand je lui annonce que je vais partir, elle éclate en sanglots. Je ne savais pas que je comptais autant pour elle, et elle pour moi. Je ne me suis pas posé de question, je l’ai prise dans mes bras. Martine

Exister pour quelqu’un, l’expérience des enfants placés

À la lecture de récits d’anciens enfants placés devenus adultes,[ …] tous évoquent ce besoin : avoir quelqu’un sur lequel s’appuyer et compter pour lui. Il constitue le cœur de ce qui les a amenés à « s’en sortir ».
Recevoir de l’affection, et ainsi se sentir être digne du lien affectif proposé, est un aspect fondamental dans l’accompagnement de l’enfant au cours de son parcours. Que ce lien s’établisse avec une famille d’accueil, des voisins, des parents de copains de classe, des éducateurs ou bien des professeurs, cet attachement, en dehors de la famille originelle, est fondateur.
Créer les conditions pour que cet enfant existe aux yeux de quelqu’un engage et inscrit l’enfant dans une temporalité et un processus au long cours.
Construire un futur avec un passé souvent traumatique implique de s’inventer une nouvelle carte relationnelle pour ces enfants. L’engagement professionnel des personnes qui les accompagnent devient un levier puissant dans la relation éducative. Les besoins de proximité et d’affection de chaque enfant posent ainsi la question de l’implication des professionnels eux-mêmes. Comment recevoir ces besoins affectifs, et quelle place investir dans la relation ? L’engagement se situe ici dans le risque de la rencontre, au sens d’être touché par les situations rencontrées. Quand le travailleur social s’engage, il prend ce risque-là… celui d’être affecté. Faire appel aux compétences des professionnels en terme de risque (et moins de technicité) permet que l’histoire s’écrive autrement pour ces enfants. Un décalage peut alors s’opérer, et d’autres perspectives s’ouvrir.
Chantal Lepage,éducatrice, article pour une revue de sciences sociales

Apprendre à se demander : qu’est-ce que je ressens pour ce patient ?

Certains étudiants ont une motivation extraordinaire à aider autrui, mais ils se situent uniquement dans le registre biomédical. On peut utiliser ce désir de soin, les amener à plus de calme et d’écoute, à se centrer sur la personne. Mais aussi les aider à comprendre quelle est leur place auprès des patients. Pourquoi ce patient vient-il me voir ? Qu’est-ce qui fait que cette personne qui a des difficultés au travail vient me voir moi, et pas le syndicat… ? Apprendre à se poser la question : qu’est-ce que je ressens pour ce patient ? Finalement, il faut donner très tôt les outils de la subjectivité : ce que peut ressentir le patient, ce qu’on pense de sa demande, et aussi le lien, ce qu’on partage avec lui. Ecouter enlève de la souffrance au patient, nous apporte du plaisir, de l’intérêt au travail. On peut écouter parfois avec tendresse, parfois malicieusement…c’est cela qui alimente notre désir de continuer.
Pierre Rabany, médecin généraliste, dans « Pratiques » n°36, mars 2007, « La Place des sciences humaines », p. 47 

Le passage du « compter sur » au « compter pour »

C’est comme une chorégraphie où la demande de « compter sur » peut être transformée en « compter pour » à certaines conditions. Que la personne qui aide puisse s’engager, accueillir la demande de l’autre sans la culpabiliser, mais au contraire en la légitimant. C’est parce que l’on est accueilli.e dans sa demande de « compter sur » quelqu’un, que l’on peut vivre l’expérience de « compter pour quelqu’un ». Je reçois l’intention de l’autre à mon égard et cela me restitue une valeur, me permet de me regarder avec les yeux de l’autre. Si je compte pour quelqu’un, alors je compte. Si je compte, j’existe.
Yoan Dallavalle, psychothérapeute

illustration : Hélène Maurel

Ce cordel n°78 a été travaillé par de nombreux échanges au sein du collectif Outils du soin, à distance en visioconférence et en présence lors de résidences. Août 2022
www.outilsdusoin.fr


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